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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

que suit un processus analogue. À son plus haut degré, elle est nettement localisée ; elle a accaparé une partie de l’organisme qui, pour cette fonction et pour elle seule, devient le représentant de tout l’organisme. Par une longue série de délégations successives, le cerveau des animaux supérieurs est parvenu à concentrer en lui la plus grande part de l’activité psychique de la colonie ; il a reçu peu à peu un mandat de plus en plus étendu avant d’arriver à l’abdication complète de ses associés[1]. Mais en prenant une espèce animale au hasard, comment savoir au juste le degré que la délégation psychique a atteint. Les physiologistes ont fait beaucoup d’expériences sur la moelle épinière, chez les grenouilles : sa valeur psychique relative est-elle la même chez l’homme ? C’est bien douteux.

VI

Revenons à l’homme et étudions d’abord sa personnalité purement physique. Éliminons provisoirement tous les états de conscience, sauf à les restituer plus tard, pour ne considérer que les bases matérielles de sa personnalité.

I. Il serait inutile de rappeler longuement que tous les organes de la vie dite végétative : le cœur, les vaisseaux, le poumon, le canal intestinal, le foie, les reins, etc., si étrangers qu’ils semblent les uns aux autres, si absorbés qu’ils paraissent, chacun dans sa besogne propre, sont reliés par une étroite solidarité. Les nerfs centripètes et centrifuges du grand sympathique et du système cérébro-spinal, (la différence entre les deux tend à s’effacer de jour en jour) sont, avec leurs ganglions, les agents innombrables de cette coordination. Leur activité se réduit-elle au simple ébranlement moléculaire qui constitue l’influx nerveux ou a-t-elle aussi un effet psychique, conscient ? Pour les cas morbides, pas de doute ; elle est sentie. À l’état normal, elle ne suscite que cette conscience vague de la vie dont nous avons tant de fois parlé. Mais vague ou non, il n’importe. Nous soutenons même que ces actions nerveuses, qui représentent la totalité de la vie organique, sont les faits fondamentaux de la personnalité et que leur valeur comme tels est, pour ainsi dire, en raison inverse de leur intensité psychologique. Elles font bien mieux que susciter quelques étais de conscience instables et superficiels ; elles

  1. Espinas. Les sociétés animales, p. 520.