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divers anneaux est bien évidente. « La conscience bien plus nette : dans le cerveau tend à s’affaiblir à mesure que le nombre des anneaux augmente. Certaines eunices qui peuvent atteindre 1 m. 50 de longueur, mordent la partie postérieure de leur corps, sans paraître aucunement le ressentir. C’est sans doute à cette diminution de la conscience qu’il faut attribuer la facilité avec laquelle se mutilent spontanément les annélides tenues en captivité, dans de mauvaises : conditions. » Dans les colonies linéaires, l’individu qui forme l’avant, obligé d’avoir de l’initiative pour tous, d’avancer ou de reculer, de modifier l’allure de la colonie qu’il traîne à sa suite, devient une tête  ; mais cette dénomination n’est donnée par les zoologistes que comme un à peu près, et il faudrait se garder de croire qu’elle corresponde exactement à ce qu’on nomme la tête chez un insecte ou tout autre articulé. L’individualité qu’elle représente est si peu précise, qu’on voit chez certains annelés asexués, composés d’une quarantaine d’anneaux, une tête d’individu sexué se former au niveau du troisième anneau, se munir de tentacules et d’antennes, puis se détacher de l’individu primitif pour vivre à sa guise[1].

Nous renvoyons pour les détails aux ouvrages spéciaux, et pour les animaux supérieurs, inutile d’insister ; l’individualité, au sens courant du mot, est constituée ; le cerveau, de plus en plus prépondérant la représente. Mais cette excursion sur le domaine zoologique ne sera pas vaine, si nous avons réussi à faire comprendre que cette coordination, si souvent mentionnée, n’est pas une simple vue de l’esprit, qu’elle est au contraire un fait objectif, visible et tangible et, comme le dit Espinas, que l’individualité psychique et l’individualité physiologique sont parallèles, que la conscience s’unifie ou se disperse avec l’organisme. Toutefois, ce terme conscience ou individualité physique est plein d’embûches que nous n’essayerons pas de dissimuler. Si l’individualité psychique n’est, comme nous le soutenons, que l’expression subjective de l’organisme, à mesure qu’on s’éloigne du type humain, on descend dans une obscurité toujours croissante. La conscience est une fonction qui peut être rapprochée de la génération, parce que elles expriment l’une et l’autre tout l’individu. Accordons aux organismes les plus élémentaires une conscience — diffuse comme toutes leurs propriétés vitales, en particulier la génération. Nous voyons cette dernière, à mesure qu’on s’élève, se localiser, accaparer une partie de l’organisme qui, à travers des perfectionnements sans nombre devient pour cette fonction et pour elle seule, le représentant de tout l’organisme. La fonction psychi-

  1. Perrier. Ibid., p. 448, 494, 501, 452.