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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

autour duquel sont rangés tous les individus. Chacun d’eux envoie vers le cloaque une languette pourvue d’un rameau nerveux, grâce à laquelle la communication peut être établie d’une manière permanente entre tous les membres d’un même groupe (Ibid., p. 771). Mais, « de ce qu’une colonie acquiert la notion de son existence en tant que colonie, il ne s’ensuit pas nécessairement que chacun des individus qui la composent perde sa conscience particulière. Chaque individu continue, au contraire, à se comporter d’abord comme s’il était seul… Chez certaines étoiles de mer, chaque bras séparé continue à ramper, à suivre une route déterminée ou à s’en détourner, suivant le cas, à s’agiter quand on l’excite, à témoigner, en un mot, d’une véritable conscience. La conscience du rayon n’en est pas moins subordonnée à la conscience de l’étoile, comme le prouve l’harmonie qui s’établit entre les mouvements des parties, lorsque l’animal se déplace[1]. »

Pour l’homme, chez qui la centralisation est poussée à un si haut degré, il est bien difficile d’avoir une représentation un peu nette de ce mode d’existence psychique où coexistent des individualités partielles et une individualité collective. À la rigueur, on en pourrait trouver quelque analogue dans certains états morbides. On pourrait dire encore que l’individu humain a conscience de lui-même, à la fois comme personne et comme membre du corps social : mais, je ne veux pas insister sur des rapprochements contestables. Prenant la question objectivement et par l’extérieur qui nous est seul accessible, nous voyons que cette conscience coloniale, si intermittente, si faiblement coordonnée qu’elle puisse être à l’origine, marque un moment capital dans l’évolution. Elle est le germe des individualités supérieures, de la personnalité. Elle passera peu à peu au premier rang, confisquant à son profit toutes les individualités particulières. Dans l’ordre politique, une évolution analogue s’est faite pour les pays fortement centralisés. Le pouvoir central, d’abord très faible, à peine reconnu, souvent inférieur à ses subordonnés, s’est fortifié à leurs dépens et les a lentement réduits en les absorbant.

Le développement du système nerveux, le coordinateur par excellence, est le signe visible d’un progrès vers une individualité plus complexe et plus harmonique. Mais cette centralisation ne s’établit pas d’emblée. Chez les annélides, les ganglions cérébroïdes qui envoient des nerfs aux organes des sens, paraissent remplir les mêmes fonctions que le cerveau des vertébrés. Ils sont loin, toutefois, de les avoir centralisés complètement. L’indépendance psychologique des

  1. Ibid., p. 772-773.