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les uns des autres. « Le voisinage forcé, la continuité des tissus, l’unité à peu près constante de l’appareil digestif établit néanmoins entre eux un certain nombre de rapports qui font que chaque individu ne peut demeurer absolument étranger à ce qui se passe chez ses compagnons les plus proches : c’est le cas des éponges, des colonies de polypes hydraires, de polypes coralliaires, de bryozoaires et de quelques colonies d’ascidies[1]. Mais ce n’est, à proprement parler, qu’une juxtaposition, un accollement d’un tas de petites consciences contiguës et homogènes, n’ayant entre elles d’autre communauté que celle que leur donne la limitation de leur agrégat dans l’espace.

La naissance d’une individualité et d’une conscience coloniales marque un grand pas vers la coordination. Formée d’individualités élémentaires, la colonie tend à se transformer en une individualité d’ordre supérieur, en qui une division du travail s’est produite. Dans les colonies d’hydractinies on rencontre des individus nourriciers, reproducteurs, d’autres sexués (mâles, femelles), d’autres qui palpent ou saisissent la proie : au total sept. Dans l’espèce des siphonophores, chez l’agalme, dont l’organisme entier mesure plus d’un mètre, et les types voisins, la faculté de locomotion se centralise complètement. Les individus qui la composent semblent indépendants, tant que l’animal laisse flotter l’axe commun sur lequel ils sont implantés : qu’un danger se présente ou que l’animal veuille exécuter quelque mouvement complexe, l’axe se contracte, entraînant tous les polypes avec lui. La physale sait accélérer ou ralentir sa marche, émerger ou plonger à volonté, monter, descendre, aller droit devant elle ou virer de bord ; elle sait faire concourir tous ses individus-organes à ces actes compliqués. La vie errante, comme le fait remarquer M. Perrier, favorise le développement de l’individualité. « Il en résulte nécessairement une dépendance plus grande de tous les individus ; des liens plus intimes s’établissent entre eux ; les impressions produites sur une partie quelconque de l’ensemble doivent nécessairement être transmises aux cloches locomotrices ; les mouvements de celle-ci, sous peine de désordre, doivent être coordonnées. Il naît donc une sorte de conscience coloniale ; par cela même, la colonie tend à constituer une unité nouvelle, elle tend à former ce que nous nommons un individu [2] ». Pour d’autres colonies, la conscience commune se forme d’une manière différente. Chez les botryles (tuniciers), il y a un orifice commun, le cloaque

  1. Perrier, op. c., p. 774, Espinas. Des sociétés animales, section 2.
  2. Perrier. Ouv. cite, p. 282, 289, 170, 248 et 262.