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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

bas au plus haut, ne pourraient être décrits et fixés que par un zoologiste psychologue et à travers beaucoup de tâtonnements et de conjectures. Aussi ne s’agit-il ici que d’en noter quelques formes et seulement en vue du but principal de ce travail, qui est de faire voir que la marche ascendante vers l’individualité supérieure, se résume en une complexité et une coordination croissantes.

Rien de plus clair que ce terme « individu » quand il s’agit d’un homme, d’un vertébré, même d’un insecte. Rien de plus obscur à mesure qu’on descend. Sur ce point, tous les Zoologistes sont d’accord. D’après l’étymologie, l’individu (individuus) c’est ce qui ne se divise pas. À ce compte, l’individu, au sens strict et rigoureux, doit être cherché très bas. Tandis que rien ne limite les dimensions des composés inorganiques (cristaux) « toute masse protoplasmique qui a atteint quelques dixièmes de millimètres au maximum, se divise spontanément en deux ou plusieurs masses distinctes, équivalentes à la masse d’où elles dérivent, qui se reproduit en elles. Le protoplasme n’existe donc qu’à l’état d’individu, ayant une taille limitée, et c’est pourquoi tous les êtres vivants sont nécessairement composés de cellules[1]. » La vie n’a pu atteindre un accroissement notable que par la répétition indéfinie du même thème fondamental, par l’agrégation d’un nombre infini de ces petits éléments, vrais types de l’individualité.

La matière vivante et homogène qui constitue ces individualités élémentaires, primordiales, s’étale, se ramasse sur elle-même, s’allonge en menus filaments, se déplace, rampe, va au-devant des substances propres à la nourrir, les englobe, les décompose et s’assimile leurs débris. On a parlé, à ce propos, de « rudiments de conscience », de volonté obscure, se déterminant sous l’action de stimulations extérieures et de vagues besoins. On peut employer ce terme, faute de mieux, mais à condition de ne pas oublier qu’il n’a pour nous aucune signification précise. Dans une masse homogène, qui ne présente pas la plus légère trace de différentiation, où les propriétés vitales essentielles (nutrition, génération) sont à l’état diffus et indistinct, le seul et bien humble représentant de l’activité psychique est cette irritabilité commune à tous les êtres vivants, qui deviendra plus tard, au cours de l’évolution, sensibilité générale, spéciale et le reste. Peut-on l’appeler une conscience ?

La première étape vers une individualité plus haute consiste dans une association d’individus à peu près complètement indépendants

  1. Perrier, Les colonies animales et la formation des organismes. Paris, 1884, p. 41, suivant Cattaneo : Le colonie lineari e la morfologia dei molluschi, la division serait poussée encore plus loin, Voir Revue philosophique, nov. 1883, p. 522-523.