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Certains déments attribuent aux autres malades le bruit qu’ils font eux-mêmes et se plaignent d’être troublés par leurs cris. Enfin, nous citerons un dernier cas, observé par Hunter, d’un vieillard dont les facultés étaient extrêmement affaiblies. Il rapportait sans cesse au présent les incidents de son premier âge. « Quoiqu’il fût en état d’agir correctement, d’après certaines impressions et de les attribuer aux parties de son corps qu’elles affectaient, il avait l’habitude de rapporter constamment ses propres sensations à ceux qui l’entouraient. Ainsi, il disait à sa garde malade et aux assistants qu’il était sûr qu’ils avaient faim ou soif. Mais si on lui apportait à boire ou à manger, on voyait à son avidité que cette idée absurde lui était suggérée par le sentiment de la faim et de la soif, et que le mot ils se rapportait à lui-même et non aux autres. Il était sujet à de violents accès de toux. Après chaque paroxysme il reprenait le fil de sa conversation, mais après avoir exprimé en termes appropriés et sympathiques combien il était touché de voir le mauvais état de son ami. « Je suis peiné, disait-il, de vous voir une toux si incommode et si fatigante[1]. »

Peu à peu tous ces cas aboutissent à une incoordination toujours croissante, à l’incohérence complète. Ils rejoignent l’imbécilité congénitale qui n’a jamais pu atteindre le niveau moyen de la personnalité humaine. Dans cette coordination à degrés multiples et ascendants qui constitue l’homme normal, il y a eu, pour l’idiot, arrêt d développement. L’évolution n’a pas dépassé les premières étapes Elle a assuré la vie physique et avec elle quelques manifestation psychiques élémentaires. Les conditions d’un développement ultérieur ont fait défaut. C’est ce fait de la coordination, comme base de la personnalité, que nous avons à examiner de plus près en concluant.

V

C’est une conséquence inévitable de la doctrine de l’évolution que les formes supérieures de l’individualité ont dû sortir des plus humbles, lentement, par agrégation et coalescence. Par suite aussi, l’individualité à son plus haut degré, chez l’homme, est l’accumulation et la condensation, dans la couche corticale du cerveau, de consciences élémentaires, à l’origine autonomes et dispersées. Les divers types de l’individualité psychique dans l’échelle animale, du plus

  1. Hunter, in Winslow. On obscure Diseases of the Brain, p. 278.