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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

IV

Pour terminer notre revue des faits, il reste à parler des altérations de la personnalité dans la démence progressive, causée par la vieillesse, la paralysie générale ou toute autre forme morbide. Si, à l’état normal, la personnalité est une coordination psycho-physiologique aussi parfaite que possible qui se maintient, malgré des changements perpétuels et des incoordinations partielles et passagères {impulsions brusques, idées bizarres, etc.) la démence, qui est une marche progressive dans la dissolution physique et mentale, doit se traduire par une incoordination toujours croissante, jusqu’au moment où le moi disparaît dans l’incohérence absolue et qu’il ne subsiste dans l’individu que les coordinations purement vitales, les mieux organisées, les plus inférieures, les plus simples, par conséquent les plus stables, qui disparaissent à leur tour. Aussi est-ce peut-être dans ces états de dissolution inéluctable que se rencontrent les seuls cas de double personnalité, au sens strict, c’est-à-dire de personnalités coexistantes. Remarquons, en effet, que dans le cours de ce travail, nous avons trouvé des personnalités successives (cas d’Azam, Dufay, Camuset), une personnalité nouvelle se substituant à une autre oubliée ou expulsée, tenue pour extérieure et étrangère (cas de Leuret, du soldat d’Austerlitz), un envahissement de la personnalité normale par des sensations insolites auxquelles elle résiste tant bien que mal et qui amènent parfois et momentanément le malade à se croire double (cas de Krishaber, etc.) Mais chez les déments, la désorganisation s’organise : ils sont doubles, se croient doubles, agissent comme doubles. Pas de doute pour eux. Ils n’ont pas concervé ce reste d’indécision qui, dans les cas si nombreux que nous avons cités, montrent que la personnalité normale (ou ce qui en reste) garde une dernière force qui, après des semaines ou des mois, assurera son retour. Il leur semble aussi naturel d’être doubles qu’à nous d’être simple. Nul scepticisme de leur part sur leur état et ils n’admettent pas celui des autres. Leur manière d’être, à eux donnée par leur conscience, leur apparaît avec ce caractère de clarté, d’évidence, qui est au-dessus du doute et ne le suppose même pas. Ce point était important à noter parce qu’il nous montre, dans ces formes morbides de la personnalité, la spontanéité d’affirmation et d’action qui caractérise tout état naturel. Voici deux cas de ce genre :