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semblait s’accroître à mesure que la situation se prolongeait davantage[1]. » :

Cette personnalité intérieure — la vraie — se laisse-t-elle totalement supprimer ? Le caractère propre de l’individu peut-il être réduit à néant, au point de se transformer en son contraire ? On n’en peut douter ; l’autorité persistante de l’opérateur y parvient, après une résistance plus ou moins longue. À une femme d’opinions très bonapartistes, M. Ch. Richet a fait afficher des convictions très républicaines. Braid, après avoir hypnotisé un teetotaller irréprochable dans ses habitudes de sobriété, lui répéta à plusieurs reprises qu’il était ivre. « Cette affirmation étant corroborée par une sensation de titubation (produite par suggestion musculaire), il était amusant de le voir partagé entre cette idée imposée et la conviction résultant de ses habitudes[2]. » Cette métamorphose momentanée n’a d’ailleurs rien d’inquiétant. Comme le dit justement M. Richet, « dans ces modifications curieuses, ce qui change c’est seulement la forme extérieure de l’être, l’habit et les allures générales, ce n’est pas l’individualité proprement dite. » Quant à savoir si par des suggestions réitérées, sur des sujets propres, on ne produirait pas à la longue une modification du caractère, c’est un problème que l’expérience seule peut résoudre et qui, d’ailleurs, ne rentre pas dans notre sujet[3].

En résumé, les états de conscience qu’on nomme idées ne sont qu’un facteur secondaire dans la constitution de la personnalité et dans ses altérations. L’idée joue son rôle, mais il n’est pas prépondérant. Ces résultats s’accordent avec ce que la psychologie enseigne depuis longtemps : les idées ont un caractère objectif. Elles ne peuvent donc exprimer l’individu au même titre que ses désirs, ses sentiments et ses passions.

  1. Hack Tuke. On the mental condition in hypnotism, dans « The journal of mental science » avril 1883. On trouve aussi dans cet article le cas d’un médecin qui durant un sommeil pénible, après vingt heures d’ascension dans les Alpes, se dédouble en rêve : l’un des deux moi meurt et l’autre fait son autopsie.
  2. Richet. Ouv. cité, p. 541. Carpenter : Ouv. cité, § 368.
  3. C’est peut être ici le lieu de mentionner ce fait de disparition de la personnalité que les mystiques de tous les temps et de tous les pays ont décrit d’après leur propre expérience, souvent en très beau langage. Sans atteindre l’extase, les métaphysiciens panthéistes ont aussi parlé d’un état où l’esprit se pense « sous la forme de l’éternité » s’apparaît comme en dehors du temps et de l’espace, libre de toute modalité contingente pour ne faire qu’un avec l’infini. Cette situation psychologique bien que rare, ne peut être oubliée. Elle me paraît la confiscation absolue de l’activité mentale par une seule idée (positive pour les mystiques, négative pour les empiriques) mais qui par son haut degré d’abstraction, son absence de détermination et de limites, exclut tout sentiment individuel. Cet état n’est ni au-dessus ni au-dessous de la personnalité, mais en dehors et au delà.