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toujours au service des passions ; mais elles ressemblent à ces maîtres qui obéissent toujours en croyant toujours commander.

Quelque résultat qu’il se produise, cet état est une hypertrophie mentale et le public a bien raison, lorsque identifiant l’inventeur et son œuvre, il désigne indifféremment l’un par l’autre : l’œuvre équivaut à la personnalité.

Jusqu’ici nous n’avons pas d’altération de la personnalité, mais une simple déviation du type normal, — pour mieux dire, schématique, — ou par hypothèse les éléments organiques, affectifs et intellectuels, formeraient un consensus parfait. Hypertrophie sur un point atrophie sur quelques autres, en vertu de la loi de compensation ou de balancement organique. Voyons les cas morbides. En dehors des altérations artificielles produites pendant l’hypnotisme, il est difficile d’en trouver beaucoup dont le point de départ incontestable soit une idée. Il me paraît possible de classer parmi les altérations de cause intellectuelle les faits autrefois fréquents, très rares aujourd’hui, de lycanthropie et de zoanthropie sous toutes ses formes. Toutefois, dans les faits de ce genre[1] qui nous sont connus par des documents authentiques, la débilité mentale chez le lycanthrope est si grande, si voisine de la stupidité, qu’on serait plutôt tenté d’y voir un cas de régression, un retour vers la forme de l’individualité animale. Ajoutons que ces cas se compliquant de désordres viscéraux, d’hallucinations cutanées et visuelles, il n’est pas aisé de savoir s’ils sont les effets d’une idée préconçue ou s’ils la produisent. Nous devons remarquer pourtant que la lycanthropie a été quelquefois épidémique, c’est-à-dire qu’elle a dû débuter, au moins chez les imitateurs, par une idée fixe. Enfin, ce genre de maladie a disparu depuis qu’on n’y croit plus, c’est-à-dire depuis que cette idée, qu’il est un loup, ne peut plus s’implanter dans le cerveau d’un homme et le faire agir en conséquence.

Les seuls cas parfaitement nets de transformation idéale de la personnalité, sont ceux, déjà cités, d’hommes qui se croient femmes, de femmes qui se croient hommes, sans qu’aucune anomalie sexuelle justifie cette métamorphose. L’influence d’une idée paraît aussi initiale ou prépondérante chez les possédés, les démonomaniaques. Elle a souvent agi par contagion sur les exorcistes. Pour n’en citer qu’un, le père Surin, si longtemps mêlé à la célèbre affaire des Ursulines de Loudun, se sentait deux âmes et même trois parfois à ce qu’il semble[2].

  1. Consulter Calmeil : De la folie considérée sous le point de vue pathologique, philosophique, historique et judiciaire, Tome I, livre Ille, ch. II, §§ 9, 16, 47 ; liv.  IV, ch.  II, § 1.
  2. Il nous a laissé une relation détaillée de son état mental : Histoire des diables