Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
427
TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

l’œuvre et à constater ce qu’il produit par lui-même et isolément. Parmi les nombreux éléments dont le consensus constitue le moi, il n’en est peut-être aucun qui se laisse mieux mettre à part, séparer artificiellement. I] faut cependant, sur ce point, éviter une équivoque. Pour l’individu conscient, l’idée de sa personnalité peut être un effet ou une cause, un résultat ou un facteur initial, un point d’arrivée ou un point de départ. À l’état sain, c’est toujours un effet, un résultat, un point d’arrivée. À l’état morbide, les deux cas se rencontrent. Dans beaucoup d’exemples précédemment énumérés, nous avons vu des perturbations organiques, affectives ou sensorielles, produire une telle exubérance ou un tel affaissement vital que l’individu déclare qu’il est dieu, roi, géant, grand homme, ou bien qu’il est un automate, un fantôme, un mort. Évidemment ces idées erronées sont la conclusion passablement logique de la transformation intime de l’individu, la formule définitive qui la résume et l’achève. Il y a des cas tout à fait contraires où la transformation de la personnalité vient d’en bas non d’en haut ; où elle ne s’achève pas dans le cerveau, mais commence par le cerveau, et où par conséquent l’idée n’est pas une conclusion, mais une prémisse. Sans doute il serait bien téméraire de prétendre que dans beaucoup de circonstances où une idée fausse sert de point de départ à une altération du moi, il n’y a plus au-dessous d’elle et avant elle une perturbation organique ou affective. On peut même affirmer qu’il y en a toujours, même chez l’hypnotisé, ou la personnalité est changée par suggestion. Entre les deux formes de métamorphose indiquée plus haut, il n’y a pas de séparation tranchée : le terme « métamorphose idéale de la personnalité » n’est qu’une dénomination à potiori.

Cette réserve faite, examinons ce nouvel aspect de notre sujet en partant, selon notre habitude, de l’état normal.

Rien n’est plus fréquent et plus connu que la confiscation momentanée de la personnalité par une idée fixe et intense. Tant que cette idée occupe la conscience, on peut dire, sans trop d’inexactitude, qu’elle est l’individu. La poursuite obstinée d’un problème, l’invention, la création sous toutes ses formes, représentent un état mental où la personnalité tout entière est drainée au profit d’une seule idée. On est, comme dit le vulgaire, distrait, c’est-à-dire automate. C’est là un état anormal, une rupture d’équilibre. Les innombrables anecdotes qui courent le monde sur les inventeurs, raisonnables ou chimériques, en font foi. Remarquons en passant que toute idée fixe est au fond un sentiment ou une passion fixe. C’est un désir, un amour, une haine, un intérêt, qui soutiennent l’idée et lui donnent son intensité, sa stabilité, sa ténacité. Les idées, quoi qu’on en dise, sont