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dans l’autre. Chacune fait partie d’un complexus distinct. Le cas d’Azam nous fournit un excellent exemple d’alternance de deux mémoires.

Nous ne pourrions rien dire de plus sans tomber dans des redites ou entasser des hypothèses. L’ignorance des causes nous arrête court. Le psychologue se trouve ici, comme le médecin, en face d’une maladie qui ne laissé voir que ses symptômes. Quelles influences physiologiques changent ainsi le ton général de l’organisme, par suite la cénesthésie, par suite la mémoire ? Un état du système vasculaire ? une action inhibitoire, un arrêt fonctionnel ? On n’en sait rien. Tant que cette question ne sera pas résolue, nous en resterons à la surface. Nous avons voulu simplement montrer que la mémoire, quoique à certains égards elle se confonde avec la personnalité, n’en est pas le fondement dernier. Elle s’appuie sur l’état du corps, conscient ou non, en dépend. Même à l’état normal, la même situation physique a une tendance à ramener la même situation mentale. J’ai souvent remarqué qu’au moment de m’endormir, un rêve de la nuit précédente, jusque-là totalement oublié, me revient en mémoire très complet et très net. En voyage, où je quitte une ville pour coucher dans une autre, cette reproduction à lieu quelquefois, mais alors le rêve me revient en lambeaux, décousu, difficile à recomposer. Est-ce l’effet des conditions physiques, semblables dans un cas, légèrement modifiées dans l’autre ? Quoique je n’aie vu ce fait mentionné dans aucun travail sur les rêves, je doute qu’il me soit particulier.

D’ailleurs, il y a des faits bien connus et plus probants. Dans le somnambulisme naturel et provoqué, les événements des accès antérieurs, oubliés pendant la veille, reviennent avec l’état d’hypnotisme. Rappelons l’histoire si connue du portefaix qui, étant ivre, égare un paquet ; revenu à lui, il est incapable de le découvrir, il s’enivre de nouveau et le retrouve. N’y a-t-il pas là une tendance à la constitution de deux mémoires, l’une normale, l’autre pathologique, expressions de deux états distincts de l’organisme et qui sont comme les formes embryonnaires de ces extrêmes dont nous avons parlé ?

IV

Le rôle des idées dans les transformations de la personnalité a été déjà indiqué en passant. Il nous reste à voir ce nouveau facteur à