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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

On peut varier ces expériences. Une attitude différente est imprimée aux membres de chaque côté du corps : alors le sujet, d’un côté, a l’expression du commandement, de l’autre sourit et envoie des baisers. On peut provoquer l’état hallucinatoire à droite ou à gauche seulement. Enfin, deux personnes s’approchent chacune de l’oreille du sujet : l’une, à droite, décrit le beau temps, le côté droit sourit ; l’autre, à gauche, décrit la pluie, le côté gauche traduit le désagrément et la commissure labiale s’abaisse. Ou bien encore, pendant qu’on suggère par l’oreille droite l’hallucination d’une fête champêtre, près de l’oreille gauche on imite l’aboiement d’un chien, le visage exprime, à droite, la satisfaction ; à gauche, l’inquiétude[1].

Ces expériences, dont nous ne donnons qu’un sommaire très sec, jointes à beaucoup d’autres faits, ont conduit très logiquement à cette conclusion : indépendance relative des deux hémisphères cérébraux, qui n’exclut en rien leur coordination normale, mais qui, dans certains cas pathologiques, devient un dualisme complet.

On a voulu aller plus loin et établir que ce dualisme cérébral suffit à expliquer tout désaccord dans l’esprit, depuis la simple hésitation entre deux partis à prendre jusqu’au dédoublement complet de la personnalité. Si nous voulons à la fois le bien et le mal, si nous avons des impulsions criminelles et une conscience qui les condamne, si le fou par instants reconnaît sa folie, si le délirant a des moments de lucidité, si enfin quelques individus se croient doubles, c’est tout simplement parce que les deux hémisphères sont désaccordés ; l’un est sain, l’autre morbide ; un état siège à droite, son contraire à gauche ; c’est une sorte de manichéisme physiologique.

Griesinger rencontrant cette théorie, déjà émise timidement à son époque, après avoir cité les faits qu’elle revendique et le cas d’un de ses malades qui « se sentait déraisonner d’un seul côté de la tête, du côté droit ». conclut en ces termes : « Quant à nous, nous ne sommes nullement disposé à accorder à ces faits une grande valeur[2]. » En ont-ils gagné depuis ? C’est bien douteux. D’abord (puisque la théorie repose sur une question de nombre), n’y a-t-il pas des individus qui se croient triples ? J’en trouve du moins un cas : « J’ai rencontré, dit Esquiros, dans un établissement d’aliénés, un prêtre qui, pour avoir appliqué trop ardemment son intelligence au mystère de la sainte Trinité, avait fini par voir autour de lui les objets triples. Il se figurait lui-même être en trois personnes, et voulait qu’on lui

  1. Magnan et Dumontpallier : Union médicale, 15 et 19 mai 1883.
  2. Ouvr. cité, p. 28. Voir aussi les conclusions négatives de Charlton Bastian, sur ce point, tome II, ch.  XXIV.