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L’existence d’hallucinations simultanées, tristes d’un côté, gaies de l’autre, en tout cas différentes et mêmes contradictoires, attira l’attention des observateurs. Il y avait mieux à faire que d’observer, c’était d’expérimenter. L’hypnotisme en fournit les moyens. Rappelons que le sujet hypnotisé peut parcourir trois phases : l’une léthargique, caractérisée par l’excitabilité névro-musculaire ; l’autre cataleptique, qui se produit en soulevant les paupières ; la troisième, somnambulique, causée par une pression sur le vertex. Si, pendant l’état cataleptique on abaisse la paupière droite, on agit par là sur le cerveau gauche et l’on détermine un état léthargique du côté droit seulement. Le sujet se trouve ainsi partagé en deux : hémiléthargique à droite, hémicataleptique à gauche ; et voici ce qui se passe. J’emprunte ces faits au livre bien connu de M. P. Richer :

« Je place, sur une table, un pot à eau, une cuvette et du savon ; dès que son regard est attiré sur ces objets ou que sa main touche l’un d’eux, la malade, avec une spontanéité apparente, verse l’eau dans la cuvette, prend le savon et se lave les mains avec un soin minutieux. Si l’on vient alors à abaisser la paupière d’un seul œil, de l’œil droit par exemple, tout le côté droit devient léthargique, la main droite s’arrête aussitôt ; mais la main gauche, seule, n’en continue pas moins le mouvement. En soulevant de nouveau la paupière les deux mains reprennent aussitôt leur action comme auparavant. La même chose se produit aussi bien du côté gauche,

« Si on met entre les mains de la malade la boîte qui renferme son travail au crochet, elle l’ouvre, prend son ouvrage, travaille avec une adresse remarquable ; si l’on vient à fermer un de ses yeux, la main correspondante s’arrête, le bras retombe inerte…, mais l’autre main cherche à continuer seule un travail désormais impossible ; le rouage continue à marcher d’un seul côté, mais il modifie son mouvement dans le but de le rendre efficace. »

L’auteur rapporte plusieurs cas du même genre dont je ne citerai que le dernier, parce qu’il confirme la découverte de Broca. On place entre les mains du sujet un livre ouvert, en attirant son regard sur lune des lignes : elle lit. « Au milieu de la lecture, l’occlusion de l’œil droit (et par l’entrecroisement des nerfs optiques, c’est le cerveau gauche qui est impressionné), l’arrête court au milieu d’un mot, au milieu d’une phrase. Elle reprend aussitôt que l’œil droit est ouvert de nouveau, achevant le mot ou la phrase interrompue. Si, au contraire, c’est l’œil gauche qui est fermé, elle continue sa lecture, en hésitant un peu parce qu’elle est amblyopique et achromatopique de l’œil droit[1]. »

  1. Richer. Études cliniques sur l’hystéro-épilepsie, p. 391-393.