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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

posées par suggestion dans l’hypnotisme. Ce qui corrobore cet essai d’explication, c’est que l’état morbide, s’il n’est enrayé par la nature ou la médication a une tendance fatale à évoluer, à prendre un corps aux dépens de la personnalité primitive qui s’amoindrit, rongée par un parasite. Toutefois, dans ce cas, il garde sa marque originelle ; il ne constitue pas un dédoublement de la personnalité, mais une aliénation.

Je ne donne cette tentative d’explication que pour une hypothèse, bien persuadé que l’ignorance des conditions organiques du phénomène nous interdit les raisons probantes. J’ai dû, d’ailleurs, anticiper sur ce qui sera dit ci-après à propos des idées et qui nous fournira peut-être de nouveaux arguments en faveur de cette hypothèse.

Nous avons maintenant à parler d’expériences récentes sur les hallucinations qui, jointes à d’autres faits, ont conduit certains auteurs à donner du dédoublement de la personnalité une explication si simple qu’elle serait, pour ainsi dire, palpable. On démontre d’abord l’indépendance fonctionnelle des deux hémisphères du cerveau, et on en conclut que de leur synergie résulte l’équilibre de l’esprit, de leur désaccord des troubles divers, et finalement la scission en deux de l’individu psychique. Il y a là deux questions distinctes que plusieurs des savants que nous allons citer ont bien vues, mais qui ont été confondues par d’autres.

Un médecin connu comme psychologue, sir Henri Holland, étudia le premier, en 1840, le cerveau comme organe double et insinua que quelques aberrations de l’esprit pourraient être dues à l’action déréglée de deux hémisphères dont l’un, dans certains cas, semble corriger les perceptions et les sentiments de l’autre. En 1844, Wigan va plus loin : il soutient que nous avons deux cerveaux et non un seul et que « le corps calleux, loin d’être un trait d’union entre eux, est un mur de séparation », et il affirme plus nettement que son devancier la dualité de l’esprit[1]. Les progrès de l’anatomie cérébrale donnèrent ensuite des résultats plus positifs : inégalité de poids des deux lobes du cerveau, asymétrie constante, différences dans la topographie de l’écorce, etc. La découverte de Broca sur le siège de l’aphasie fut un nouvel argument d’une grande valeur. On supposa aussi que l’hémisphère gauche serait le siège principal de l’intelligence et de la volonté, que l’hémisphère droit serait plus spécialement dévolu à la vie de nutrition (Brown-Séquard). J’abrège cet historique qui pourrait être long, pour en venir tout de suite aux hallucinations.

  1. Wigan. The duality of mind proved by the structure, functions and diseases of the Brain and by the phenomena of mental derangement and shewn to be essential to moral responsability. London, 1844. Ce livre mal digéré ne tient pas ce que le titre promet.