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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

agit seul à l’origine. Une femme était persécutée par une voix intérieure « qu’elle n’entendait que dans son oreille », et qui se révoltait contre tout ce qu’elle voulait. La voix voulait toujours le mal quand la malade voulait le bien. Elle lui criait parfois, sans qu’on pût l’entendre extérieurement : « Prends ton couteau et tue-toi. » Une autre, hystérique, eut d’abord des pensées et proféra des mots qu’elle n’avait pas l’intention de dire et qu’elle exprima bientôt d’une voix qui différait de sa voix ordinaire. Cette voix ne faisait, à l’origine, que des remarques indifférentes ou raisonnables ; puis elle prit un caractère négateur. Actuellement, après treize ans, la voix constate simplement ce que la malade vient de dire, ou commente ses paroles, les critique, les tourne en ridicule. Le ton de cette voix, quand « esprit parle, diffère toujours un peu et même quelquefois totalement de la voix ordinaire de la malade, et c’est pourquoi celle-ci croit à la réalité de cet esprit. J’ai observé souvent ces faits moi-même[1]. »

Pour la vue, les aliénations de ce genre sont moins fréquentes : « Un homme, très intelligent, dit Wigan (p. 126), avait le pouvoir de poser devant lui son double. Il riait très fort à ce double qui riait aussi. Ce fut longtemps pour lui un sujet d’amusement., mais dont le résultat final fut lamentable. Il se convainquit graduellement qu’il était hanté par lui-même (haunted by himself). Cet autre moi le chicanait, taquinait et mortifiait sans relâche. Pour mettre fin à cette triste existence, il règla ses affaires et, ne voulant pas commencer une autre année, le 31 décembre, à minuit, il se tira un coup de pistolet dans la bouche. »

Enfin M. Ball a rapporté, dans l’Encéphale (1889, II), le fait d’un Américain qui, par des hallucinations simultanées de l’ouïe et de la vue, crée de toutes pièces un personnage imaginaire. « À la suite d’une isolation, il resta sans connaissance pendant un mois. Peu de jours après avoir repris ses sens, il entendit une voix d’homme nettement articulée qui lui dit : « Comment allez-vous ? » Le malade répondit, et une courte conversation s’engagea. Le lendemain la même question est répétée. Le malade regarde et ne voit personne. « Qui êtes-vous ? » dit-il. « Je suis M. Gabbage », répondit la voix. Quelques jours plus tard, le malade entrevit son interlocuteur qui, à partir de cette époque, s’est toujours présenté sous les mêmes traits et le même costume. Il le voit toujours de face, en buste seulement : c’est un homme vigoureux et bien fait, de trente-six ans

  1. Griesinger. Maladies mentales, trad. franç., p. 285-286. — Baillarger rapporte un cas analogue. Annales médico-psych. ; Ire série, tome VI, p. 151.