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souvent aux deux côtés du corps, moins souvent à un seul (droit ou gauche indifféremment) ; plus rarement encore, elles sont bilatérales, mais en présentant pour chaque côté un caractère différent : une oreille est obsédée de menaces, d’injures, de mauvais conseils ; l’autre est reconfortée par de bonnes paroles : un œil ne perçoit que des objets tristes et répugnants, l’autre voit des jardins pleins de fleurs. Ces dernières, à la fois bilatérales et opposées en nature, sont pour nous les plus intéressantes.

Fort heureusement, dans cet immense domaine, nous n’avons à explorer qu’un très petit coin. Délimitons bien notre sujet. À l’état normal, l’individu sentant et pensant est adapté à son milieu. Entre ce groupe d’étais et rapports internes qui constituent l’esprit, et ce groupe d’états et rapports externes qui constituent le monde extérieur, il y a, comme Herbert Spencer l’a montré en détail, une correspondance. Chez l’halluciné, elle est détruite. De là des jugements faux, des actes absurdes, c’est-à-dire non adaptés, Cependant, tout cela constitue une maladie de la raison, non de la personnalité. Assurément, le moi subit une déchéance, il rétrograde, il tombe au-dessous du niveau moyen ; mais tant que ce consensus qui le constitue n’a pas disparu, ne s’est pas scindé en deux ou n’a pas aliéné une partie de lui-même comme nous le verrons plus loin, il n’y a pas de maladie propre de la personnalité : les troubles sont secondaires et superficiels. Par là se trouvent éliminés pour nous l’immense majorité des cas d’hallucination.

Nous n’avons pas, non plus, à nous occuper de ces malades assez nombreux qui changent la personnalité des autres, qui prennent les médecins et infirmiers de l’asile pour leurs parents, ou leurs parents pour des personnages imaginaires en rapport avec leur délire[1].

Ces éliminations faites, les cas à étudier sont assez restreints, puisqu’ils se réduisent aux altérations de la personnalité dont l’hallucination est la base. Presque toujours tout se borne à une aliénation (au sens étymologique) de certains états de conscience que le moine considère pas comme siens, qu’il objective, qu’il place en dehors de lui et à qui il finit par attribuer une existence propre, mais indépendante de la sienne.

Pour l’ouïe, l’histoire de la folie religieuse fournit de nombreux exemples. Je citerai les plus simples, ceux où l’état hallucinatoire

  1. Pour certains malades, le même individu est tour à tour transformé en un personnage imaginaire et maintenu dans sa personnalité réelle. Une femme, tantôt reconnaissait son mari, tantôt le prenait pour un intrus. Elle le fit arrêter par la police, et il eut beaucoup de peine à établir son identité. (Magnan, clinique de Sainte-Anne, 11 février 1877.)