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instabilité se transmet par les vibrations éthérées à la chlorophylle, et par elle à l’anhydride carbonique qui la baigne. On peut dire, sans métaphore aucune, que la plante sait se nourrir de la substance solaire. C’est ainsi que l’équation est respectée.

Les animaux, en fin de compte, se nourrissent aussi de la force du soleil. Mais tandis que les plantes l’absorbent directement et la boivent, pour ainsi dire, en nature, eux ne s’en emparent qu’après qu’elles l’ont élaborée. Les uns, comme les herbivores, la prennent sous la forme de la fécule, de la graisse et de l’albumine amassées principalement dans les graines des végétaux ; les autres, les carnivores, ne peuvent l’utiliser que changée en chair, en sang et en os. À cet égard, notons cependant que les jeunes plantes, en tant qu’elles commencent par vivre aux dépens des aliments renfermés dans la graine, se conduisent en véritables animaux. Ce fait, signalé par Claude Bernard, entre autres, est remarquable à plus d’un titre, et propre à suggérer bien des réflexions ; mais il est en dehors de mon sujet.

On comprend maintenant, du moins je l’espère, comment de déduction en déduction, sans quitter un seul instant le terrain scientifique, j’ai été amené, dans mon premier article, à considérer les molécules de l’univers naissant, comme étant éminemment mobiles et renfermant déjà nécessairement la vie avec tous ses caractères et toutes ses conséquences ; et pourquoi j’ai pu affirmer que : la matière actuelle ne ressemble pas à la matière primitive, puisque de celle-là on ne pourrait retirer toute celle-ci.

Le fait de la transformation du mort en vivant dans le phénomène de la nutrition n’a donc rien en soi de particulièrement obscur, quoique peut-être il se soit présenté à l’esprit de maint lecteur comme une objection formidable à mes idées[1].

Je disais plus haut que, quand un barreau d’acier s’aimante, j’ai le droit de demander d’où lui vient son aimantation. À plus forte raison, quand la matière stable, le carbone de l’acide carbonique, par exemple, finit par entrer de filière en filière, comme élément essentiel, dans un être qui pense et par là même devient pensant, rien de plus légitime que de chercher à pénétrer l’origine première de cette métamorphose. Nous avons maintenant une partie de la réponse à la question. Nous savons à quel prix se reconstitue l’instable, ou, si l’on veut, s’emmagasine de nouveau la vie dans la matière.

Il y a malheureusement une chose encore que nous ne savons pas : c’est comment sont accrochés les atomes dans les instables,

  1. Voir, entre autres, le Cosmos, No du 5 janvier 1884, p. 34 où la question m’est posée par M. A. Matinée.