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LES BASES AFFECTIVES DE LA PERSONNALITÉ


I

Dans certains états morbides, les cinq sens classiques, universellement admis, subissent des troubles graves. Leurs fonctions sont perverties ou dénaturées. Ces « paresthésies » et « dysesthésies » jouent-elles un rôle dans les altérations de la personnalité ? Avant d’examiner ce point, une question préalable se pose : Qu’advient-il dans le cas de suppression d’un ou de plusieurs sens ? La personnalité est-elle altérée, entamée, transformée ? La réponse, appuyée sur l’expérience, paraît négative.

La perte totale d’un sens peut être acquise ou congénitale. Examinons d’abord le premier cas. Écartons les deux sens secondaires du goût et de l’odorat, ainsi que le toucher, sous ses diverses formes, qui tient de près à la sensibilité générale. Bornons-nous à l’ouïe et à la vue. La cécité et la surdité acquises ne sont pas rares : assez souvent elles entraînent des modifications de caractère, mais ces changements n’entament pas l’individu dans son fond ; il reste le même. La cécité et la surdi-mutité congénitales atteignent plus profondément la personnalité. Les sourds-muets de naissance, tant qu’ils sont réduits à leurs propres forces et privés du langage artificiel, restent dans un état d’infériorité intellectuelle notoire. On l’a parfois exagérée[1], elle est pourtant incontestable et elle tient à des causes trop souvent exposées pour qu’il soit nécessaire de les rappeler. La personnalité consciente tombe au-dessous de la moyenne normale ; mais il y a, dans ce cas, un arrêt de développement plutôt qu’une altération au sens propre.

Pour les aveugles-nés, l’ingéniosité d’esprit de beaucoup d’entre eux est très connue, et rien n’autorise à leur attribuer une diminution ou une altération quelconque de la personnalité, Quelque bi-

  1. Voir sur ce point les faits rapportés par Kussmaul, Die Störungen der Sprache ch.  VII, p. 16, et suiv.