Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
404
revue philosophique

La cellule-mère, en se nourrissant, ne fait donc qu’imprimer un certain mouvement à des particules matérielles, et c’est par là que celles-ci deviennent elle et lui appartiennent. À leur tour, elles réagissent sur les mouvements propres à la cellule-mère ; car celle-ci, par cela même que ses besoins sont apaisés, modifie son allure. Par conséquent, quand elle émettra un second bourgeon, ce bourgeon, bien que sortant topographiquement, si je puis ainsi dire, de la cellule-mère, est au fond le fils de l’organisme double, composé de cette même cellule, que nous avons qualifiée de féconde, et de sa première production que nous avons qualifiée de neutre. Voilà pourquoi la fille hérite de ses parents et contient en elle, d’une manière plus ou moins facile à déchiffrer, leur histoire.

On touche ici du doigt l’erreur qui a régné jusqu’à ces tout derniers temps sur la constitution de l’œuf. On la cru composé d’un protoplasme indifférent. On se disait que, puisque les monères étaient la souche des invertébrés et des vertébrés, l’œuf devait commencer par être une monère, C’était faire une fausse application de la loi d’après laquelle le développement de l’individu retrace l’histoire de sa race, et l’on aboutissait ainsi à une contradiction. Car un œuf de saumon donne un saumon et non un brochet. Au contraire, l’œuf ne peut pas être indifférent, puisqu’il porte écrite en lui toute cette histoire ancestrale. Pour lui, le passé n’est pas non avenu, il en est le résumé. C’est d’ailleurs ce que les recherches les plus récentes ont mis, semble-t-il, hors de doute.

Ce que je viens de dire d’un organisme bicellullaire, s’applique de tous points aux organismes plus compliqués. Faisons donc un saut immense et passons à l’homme. On verra qu’il n’y a rien à changer à notre exposé.

En effet, l’ovule humain va, lui aussi, se diviser en deux, en quatre, en huit, à l’infini. Pendant tout l’âge de croissance, les cellules enfantées diffèrent de la cellule-mère ; c’est une génération hétérogène. Mais arrive l’âge de puberté, cette même cellule, que je regarde comme persistante, se met à engendrer des cellules semblables à elle-même, à la façon de la monère ou de l’amibe. Par cette raison, je puis dire qu’elle ne meurt pas ; elle se retrouve dans sa postérité. Elle se retrouve de même dans la famille qu’elle a groupée autour d’elle et dont elle reste en quelque sorte le centre ; c’est ce qu’il y a d’elle dans chacun des membres de cette famille, qui constitue l’identité substantielle de l’œuf prêt à entrer dans la vie, et du vieillard sur le point de descendre dans la tombe. Voilà pourquoi on peut dire qu’à tout le moins la matière permanente de l’individu pendant toute son existence se trouve dans la cellule primitive. C’est de cette