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Ce qui est vrai, c’est qu’elle est incréée, ou, si l’on aime mieux, elle a même origine que le mouvement ou la force. En ce sens on peut dire que c’est un mode de mouvement c’est-à-dire une manière de mouvement ; ce qui n’est pas la même chose qu’un mode du mouvement ; car, avec du mouvement pur, nous ne savons pas si l’on pourrait faire de la vie.

En pareille matière, il n’est pas toujours facile de donner à sa pensée toute la clarté désirable, parce que le sujet s’y refuse. Dans ses curieux Éléments de Physiologie générale, M. Preyer, s’appuyant sur l’axiome expérimental que tous les êtres vivants naissent exclusivement d’êtres vivants, a cru pouvoir avancer qu’il y a une loi de la conservation de la vie, et la mettre sur le même pied que les lois de la conservation de la matière et de la force. Son raisonnement est à noter ; le voici : « La loi de la conservation de la force dit : là où ne préexistait point de force, aucune force nouvelle ne peut naître. La loi de la conservation de la matière dit : là où ne préexistait point de matière, aucune matière nouvelle ne peut apparaître. La loi de la conservation de la vie dit : là où ne préexistait point de vie, aucune vie nouvelle ne peut être produite. Il résulte déjà de ces propositions que la question de l’origine de la vie ne saurait être moins transcendante que la question de l’origine dela matière et de ses forces. »

Malheureusement, il n’y a là qu’un habile arrangement de mots. Les lois de la conservation de la matière et de la force disent non seulement ce que leur fait dire M. Preyer, mais encore autre chose, à savoir que de la matière ni de la force ne peuvent être détruites ; que, par conséquent, la quantité de matière et la quantité de force sont inaltérables. Oserait-il soutenir que la vie ne peut être détruite, que la quantité de vie ici-bas est toujours la même ? Que signifierait une pareille assertion ? Il assimile des choses dissemblables : on pèse la matière, on mesure ou l’on calcule la force, et l’on peut s’assurer par l’expérience de l’absolue vérité des deux lois en question. Avant la vérification expérimentale, des penseurs les avaient énoncées plus ou moins nettement, mais elles n’ont pris vraiment droit de cité dans la science qu’avec Lavoisier et Mayer. Y a-t-il un Lavoisier ou un Mayer, qui ait recueilli et pesé ou estimé la vie de la fourmi écrasée par un passant ou du bœuf assommé à l’abattoir ?

M. Preyer s’est laissé tenter par une fausse analogie de rédaction, et il a donné une portée trop considérable et surtout trop précise au principe d’expérience omne vivum ex vivo. Ce principe est en lui-même contraire à sa thèse ; car si, d’un côté, il s’oppose à la génération spontanée, d’un autre côté, il a en vue la multiplication des in-