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J’ai dit ailleurs que la conscience accompagne l’effort, et qu’à mesure que l’effort s’affaiblit, que la machine se perfectionne et travaille avec moins de bruit et de difficulté, la conscience diminue et finit par s’éteindre. C’est ainsi que les doigts du pianiste abaissent les touches sans qu’il ait conscience de leurs mouvements ; c’est ainsi que le cœur bat et que l’estomac digère. Il en est sans doute ici de même, bien qu’il puisse paraître téméraire de scruter l’âme d’une monère. — Elle a ses joies et ses douleurs, ses besoins et ses satisfactions. Mais un temps arrive où elle n’a plus de désir, où elle ne se meut plus spontanément ; alors elle ne se sent plus elle-même, elle s’endort et son moi s’évanouit.

Remarquons encore que la substance d’une première monère se retrouve tout entière dans ses descendants. Elle va se divisant à l’infini mais il y a toujours en chacun d’eux quelque chose d’elle. Ce quelque chose deviendra chez les animaux supérieurs le caractère de l’espèce, de la race, de la variété ou de l’individu. Ce quelque chose portera en soi toutes les acquisitions accumulées de l’intelligence.

Ce que nous venons de dire des monères s’applique aux amibes. Les amibes sont des cellules, les monères n’en sont pas. Comment s’est constituée l’unité cellulaire ? on n’en sait encore rien. Il y a, il est vrai, des animaux monocellulaires, les grégarines, entre autres, qui passent, croit-on, par une phase non cellulaire. De là on est moins porté qu’autrefois à regarder la cellule comme étant l’unité vivante primitive, la véritable unité de vie. À part cette différence, qui est peut-être considérable, si par exemple le noyau renferme déjà un rudiment de mécanisme, les monères ressemblent aux amibes, ont les mêmes mœurs, les mêmes allures, le même mode de propagation. Elles se partagent intégralement, et rien de leur corps n’est rejeté à l’état de cadavre.

Et ce mode, sauf certaines modifications, est, peut-on dire, général dans le monde des protozoaires. Une magosphère, par exemple, organisme un peu plus compliqué, se multiplie, en dernier résultat, de la même façon. Une cellule, — dirons-nous que c’est la cellule mère ? — se divise en deux, puis en quatre, puis enfin en huit ou un plus grand nombre de cellules qui restent pendant un certain temps accollées l’une à l’autre et vivent d’une vie commune. À un certain moment elles se séparent, et chacune d’elles devient mère à son tour.

Ici encore, où est l’individu ? Dira-t-on que c’est l’animal composé, et qu’il meurt quand il se divise ? Mais où est la chose morte ? D’ailleurs, la séparation peut se faire en plusieurs actes. Dira-t-on que