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dont il brillait, il l’avait reçue d’un autre. Qu’est-ce qui meurt en lui quand il meurt, puisque quelque chose de lui ne meurt pas ? Quel rôle joue le mécanisme dans la conservation du type spécifique ? À quoi est attaché ce type lui-même ?

Faisons l’histoire d’une monère. À peine née, — nous allons voir comment elle naît, — elle rampe à la recherche d’une proie, avale ce qu’elle trouve à sa portée et à sa convenance, grandit, prospère, puis, quand elle a atteint certaines dimensions, son développement s’arrête. Pourquoi ? on n’en sait rien. La faculté de cohésion de [a substance protoplasmatique est sans doute à bout. C’est ainsi que l’eau se congèle en petites étoiles qui ne dépassent jamais un volume déterminé. Dans cet état, la monère est prête à procréer, elle est adulte. Son individualité est toujours parfaite ; elle ne se confond pas avec autre chose. Quand d’un de ses bras adventices elle s’en touche un autre, elle sait qu’elle se touche elle-même, et elle se plaira à faire couler sa substance de l’un dans l’autre. Touche-t-elle le bras d’une autre monère, elle le regarde comme lui étant étranger. Aucun moyen mécanique ne parviendra à les identifier.

Depuis le moment de sa naissance, elle a accaparé et a transformé en elle divers matériaux de son choix, et ces matériaux sont devenus elle. Si cette faculté d’assimilation n’avait pas de bornes, et en supposant que d’autres individus aussi forts ou plus forts ne fussent pas en état de s’opposer à ses envahissements, la monère se fût accrue indéfiniment aux dépens de son entourage, eteût, à la fin du compte, fait un animal gigantesque. Tout fût devenu monère.

Cependant, cette éventualité se réalise d’une certaine façon. Après un certain temps de vie active, la monère devient paresseuse ; elle ne projette plus en dehors d’elle des bras ravisseurs ; elle s’immobilise, comme une personne repue : elle prend la forme sphérique. Puis un travail se fait en elle ; on voit apparaître une ligne de division qui va se prononçant de plus en plus ; un étranglement se montre, et bientôt, au lieu d’une monère, on en a deux. Les deux jeunes monères commencent immédiatement leur vie de rapine, qui se termine de la même façon. De sorte que, si ces animaux n’étaient pas sujets à périr par accident, en peu de temps ils auraient envahi l’univers et seraient les seuls représentants de la vie.

Pourquoi la monère se divise-t-elle ? Encore une fois, on n’en sait rien. Faut-il aventurer une explication ou plutôt une analogie ? Ne peut-on pas y voir une conséquence de l’arrêt de développement amené par l’état de saturation de la molécule protoplasmatique ? La veine liquide ne peut rester continue : elle se divise en gouttes d’autant plus vite que le liquide est moins visqueux. Une petite masse