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DELBŒUF. — la matière brute et la matière vivante

celle de la souche. Mais rien ne nous autorise à voir une seule espèce dans la descendance de deux monères différentes non issues d’un tronc commun. La communauté de substance se révèle à nous par la fusion possible des individus, comme c’est le cas des myxomycètes, comme c’est le cas des espèces qui se perpétuent par procréation. À défaut de cette preuve expérimentale, il ne nous est pas possible d’en trouver aujourd’hui une autre. Le chien et le loup restent pour nous des espèces différentes, en dépit des ressemblances et des cas isolés d’accouplements et d’accouplements même féconds. Si donc, au début, les espèces étaient moins différenciées qu’aujourd’hui, en revanche leur nombre était plus considérable. Le progrès a accentué les différences et, de plus, a fait disparaître les intermédiaires ; c’est même une loi mathématiquement nécessaire[1].

La fécondité de la nature ne se ralentit pas, seulement elle s’exerce d’une autre façon : au lieu de disperser les variations, elle les accumule sur une même souche, au point qu’il y a plus de différences entre un homme et un homme qu’il n’y en a entre toutes les monères présentes, passées et futures. C’est ce que l’examen des divers modes de génération, fissiparité, allogénèse, sexualité, va nous faire voir.

III

Quelque restreinte que soit la signification que l’on veut donner au terme de vie, il est impossible d’assigner une date à l’apparition des êtres. Nous pouvons cependant, pour le cas qui nous intéresse, regarder comme les premiers êtres vivants, dignes de ce nom, ceux qui ont procréé des rejetons semblables à eux par simple voie de division. C’est là, en effet, le phénomène caractéristique de la vie telle que nous l’observons aujourd’hui. Auparavant, il y avait un grand nombre d’apparitions fugitives ; avec la génération, apparaît la permanence, la loi. Auparavant, les unités n’étaient autres que les individus ; aujourd’hui, à côté des unités individuelles, il y a des unités spécifiques.

Dans l’espèce, l’individu ne figure qu’à titre de procréateur. Nous venons de le voir, l’adulte est un chaînon de la chaîne formée par l’espèce. Il meurt, lui, mais l’espèce ne meurt pas. Son flambeau s’éteint, mais il a allumé d’autres flambeaux ; de même que la flamme

  1. Voir mon article sur une loi mathématique applicable à la théorie du transformisme, dans la Revue scientifique, 13 juillet 1877.