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D’ailleurs, si peu loin ou si loin que les parents aient poussé la prévoyance pour leur progéniture, il arrive toujours un moment où celle-ci doit pourvoir à sa subsistance et à ses besoins. Elle est armée pour cela. Le poulet au sortir de l’œuf commencera sa vie indépendante, il grattera la terre et le fumier pour y chercher des graines et des vers. Il n’est pas adulte, maïs il se prépare à le devenir. Le jeune poulet c’est encore l’œuf, mais l’œuf qui marche et qui mange. On a donné avec infiniment de raison la même dénomination aux larves des insectes. La chenille sur la plante où sa mère l’a déposée, n’agit pas autrement que le germe dans l’œuf de l’oiseau ou dans la matrice du mammifère. Elle mange, mais elle est tenue à quelque chose de plus. La nourriture que la poule avait élaborée et déposée dans l’œuf pour servir d’aliment au germe, la chenille est obligée de l’aller chercher elle-même, de la broyer, de la digérer, et de l’accumuler sous son enveloppe. De sorte que ce n’est pas, à proprement parler, le petit grain déposé sur la plante qui est l’analogue de l’œuf de la poule, c’est la chrysalide. Dans la chrysalide en effet, il n’y a aucune partie différenciée, en apparence du moins, ni ailes, ni pattes, ni antennes, ni nerfs, ni muscles ; et peut-être même serait-il possible de déranger dans une certaine mesure l’arrangement de la substance sans troubler le développement du papillon, auquel cas elle serait comme composée d’un germe et d’un vitellus. J’en doute cependant.

Pour en revenir aux animaux supérieurs, ils sont tous, dans une partie de leur existence, des œufs qui marchent. Après la période d’incubation, la période utérine, vient une période active où le jeune animal prépare son avenir ; c’est l’état larvaire. L’adolescent, c’est la chenille dont l’adulte est le papillon.

II

Qu’est-ce que l’adulte ? C’est l’individu en état de procréer.

Il fut un temps certainement — et probablement ce temps existe encore pour d’autres mondes que le nôtre — il fut un temps où les cellules naquirent d’autre chose que d’une cellule, ou, pour employer un langage plus général encore, il fut un temps où le protoplasme, pour se former, n’avait pas besoin d’un protoplasme préexistant. Ce temps a-t-il entièrement disparu ? En apparence, oui ; en réalité, nullement. Il nous paraît aujourd’hui que le vivant naît d’un vivant semblable à lui. C’est une pure illusion. Elle provient de ce qu’il nous plaît de ne voir que les ressemblances et non les dissemblances.