Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
revue philosophique

Il y a des substances dont les cristaux peuvent croître indéfiniment. Il en est d’autres où cette croissance a des limites. Ces dernières sont, peut-on dire, d’un degré plus élevé sur l’échelle des corps et, en effet, ce sont généralement des substances à composition complexe.

Les organismes se rattachent évidemment pour la plupart à cette dernière catégorie. Les zoologistes et les botanistes, qui savent au juste ce qu’est un polypier, ce qu’est un arbre, et ne confondent pas une colonie avec un individu, comprendront pourquoi j’ajoute les mots « pour la plupart » qui ne sont mis là que pour aller au-devant d’une objection possible, quoique peu fondée.

Le germe, une fois ébranlé, va donc, s’il est dans un milieu favorable, grouper autour de lui une certaine quantité de matière jusqu’à ce qu’il se produise un nouvel état de saturation relative. Telle est la phase de croissance qui se termine par l’âge adulte.

Cette phase elle-même comprend deux périodes, l’une où l’être est passif, période d’incubation l’autre où il est actif, et va lui-même, à la recherche de sa nourriture ou d’un milieu convenable.

L’adulte peut ainsi être considéré comme une seule molécule d’une complication infinie. Elle met du temps à se former ; mais une fois achevée, une fois ses forces latentes satisfaites et épuisées, elle ne vise plus qu’à se maintenir ; seulement le travail même auquel elle est condamnée la détruit, et sa décomposition se prépare.

Cependant l’œuf et l’animal arrivé au terme de sa vie sont bien un seul et même individu. À quelle matière peut donc être attaché le caractère qui persiste à travers toutes les phases de l’existence ? Il n’est pas possible d’hésiter sur la réponse : c’est à la matière de l’œuf, à cette matière imprégnée de forces potentielles qui produiront leurs effets quand l’occasion leur en sera donnée.

Prenons l’œuf de la poule comme exemple. Dans l’œuf en lui-même, il faut distinguer le germe et la provision de nourriture accumulée autour de lui.

Quoi qu’on en ait pu penser naguère encore, le germe est ainsi construit qu’il est déjà ce qu’il deviendra plus tard, et les recherches les plus récentes l’établissent presque sans conteste[1]. D’ailleurs la grande loi de la conservation ineffaçable des traces du passé, s’opposerait à ce qu’il en fût autrement. Quant au jaune et au blanc, c’est-à-dire la nourriture, seraient-ils peut-être, eux aussi, déjà déterminés en ce sens que telle partie deviendrait le foie, telle autre le rein, telle

  1. Voir les récentes et magnifiques recherches d’Ed. Van Beneden sur la maturation de l’œuf la fécondation et la division cellulaire. Paris, Masson, 1883.