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DELBŒUF. — la matière brute et la matière vivante

temps d’arrêt. Ce n’est qu’en avril que le développement embryonnaire commence.

Ces découvertes nous autorisent donc pleinement à avancer que même l’œuf humain fécondé pourrait, s’il était soustrait à certaines influences et mis dans un milieu convenable, garder intactes pendant longtemps ses propriétés évolutives, avec faculté de les manifester quand on le mettrait dans les conditions ordinaires et normales.

Ceux qui se sont livrés à des expériences de conservation ont fait cette remarque, qu’elles réussissent surtout avec des tissus qui ne sont pas encore arrivés à leur complet développement. C’est conforme à ce qui a été dit plus haut au sujet de la force réparatrice.

La vie de l’individu commence donc par être latente ; c’est-à-dire par ne manifester aucun changement interne. Il est, comme je le disais plus haut, à l’état saturé.

Placez maintenant la cellule-œuf dans certaines conditions de milieu, disons pour fixer les idées, de chaleur et d’humidité. Un changement se fera dans la position de ses atomes. Il en résultera ou bien ce qu’on appelle la destruction de la cellule — par exemple, sous l’action de la cuisson, et la destruction est elle-même un phénomène vital, — ou bien la tendance à l’évolution. Qu’est-ce en soi que cette tendance ? Elle se caractérise physiquement par un état de non-saturation ; psychiquement par un besoin, et, puisque nous ne craignons pas de sensibiliser la matière, par un désir. Elle va présenter des pôles d’attraction et se mettre à croître.

Ce phénomène, on l’a rapproché avec justesse de celui de la cristallisation. Seulement qu’on ne confonde pas un rapprochement avec une assimilation. Des molécules de matière peuvent, suivant les circonstances, ne manifester aucune attraction, ou bien viser à constituer un cristal, à s’arranger d’une certaine manière autour de certains axes. Par où ce dernier phénomène s’explique-t-il ? par l’état de non-saturation de la molécule. Elle tend alors à se satisfaire ; elle attire et groupe autour d’elle d’autres molécules, qui, à leur tour, pourront présenter des pôles attractifs ; et le cristal ira grossissant toujours. On peut sursaturer un liquide d’un sel en dissolution et, grâce à certaines précautions, le maintenir indéfiniment dans cet état. Mais jetez-y un fragment de sel cristallisé, à l’instant, autour de ce fragment, le liquide se prend en masse. Dans une dissolution qui se refroidit, la cristallisation commence souvent par un point autour duquel viennent se grouper les molécules en excès. Ce premier élément présente des pôles attractifs dont l’influence se fait sentir dans tout le milieu.