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Nous nous sommes fait quelque idée de l’individu adulte ; nous savons que c’est une forme, attachée à une substance fixe, dans laquelle passe de la matière chargée d’énergie à son entrée, dépouillée de son énergie à sa sortie. Mais l’œuf fécondé est déjà l’individu ; il n’est indéterminé qu’en partie. Certes, dans le cours de son développement, il est exposé à bien des vicissitudes ; néanmoins, il porte en lui le type de l’espèce, plus un caractère qui fera de lui tel individu et non un autre ; et si rien d’extraordinaire ne lui survient, sa vie réalisera et ce type et ce caractère.

Le trait constant de tout ce qui vit, c’est d’apparaître un jour et de disparaître, et toute définition du vivant doit être conçue de façon à impliquer ces deux termes[1].

L’organisme à son origine peut être envisagé comme une molécule à l’état de saturation. Tels sont les spores et les graines des végétaux, les œufs des animaux même très élevés sur l’échelle zoologique. Dans cet état, leur permanence est, pour ainsi dire, indéfinie, elle l’est à coup sûr théoriquement. Certes, un œuf de poule fécondé, au bout d’un certain temps, ne sera plus susceptible d’être couvé avec succès. Néanmoins toutes les analogies nous portent à croire qu’il y aurait moyen de prolonger sa vie latente beaucoup au delà des limites ordinaires. N’a-t-on pas conservé vivants pendant des mois entiers les globules du sang, et même pendant des jours et des semaines, certains organes ou des fragments d’organes tels que des queues, des pattes, des morceaux du cœur ?

On peut, au moyen du froid, arrêter pendant longtemps le développement des œufs fécondés de batraciens et de poissons. C’est de cette façon qu’on a transporté le saumon dans les cours d’eau de l’Australie. Bischoff a prouvé que l’œuf du chevreuil est fécondé en juin, subit la segmentation, puis arrête son développement qu’il ne poursuit que six mois après. MM. Ed. Van Beneden et Julin ont fait une remarque analogue concernant les chauves-souris[2]. Ces animaux s’accouplent en novembre ; la chute de l’œuf peut se faire vers le commencement ou le milieu de l’hiver ; il rencontre les spermatozoïdes, est fécondé, mais son développement subit un

  1. C’est ce qui manque, entre autres, à la définition de l’animal donnée par Claus (Traité de Zoologie), trad. Moquin-Tandon « L’animal est un organisme libre, doué de mouvements volontaires et de sensibilité, dont les organes se développent dans l’intérieur du corps, qui se nourrit de matières organisées, respire de l’oxygène, transforme les forces latentes en forces vives sous l’influence des phénomènes d’oxydation et excrète de l’acide carbonique et des produits de décomposition azotée. »
  2. Bulletins de l’Académie de Belgique, et Archives de biologie, I, p. 551 : Observations sur la maturation, la fécondation et la segmentation de l’œuf chez les Chéiroptères, par Ed. Van Beneden et Julin.