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lesquels il vient composer, accroître, entretenir les parties similaires de l’organisme. « Si l’on considère l’aliment non cuit (= non modifié par la digestion et la nutrition) c’est le contraire qui nourrit le contraire, en tant que cuit (= digéré, élaboré) c’est le semblable qui nourrit le semblable (Âme, II, IV, § 11) ». Dans l’enfance, tout l’aliment est employé à la croissance, toutes les sécrétions convergent vers ce but[1]. Dans l’âge adulte une grande partie de l’aliment fournit aux sécrétions sexuelles. Chez le vieillard, l’aliment ne subit plus les coctions suffisantes et le corps s’affaiblit.

Tout ce système est nettement exposé au Ier livre du traité De la Genèse et ne pouvait être nulle part mieux à sa place. Aristote n’y parle pas spécialement du rôle de la chaleur (invoqué à chaque instant dans les petits traités biologiques d’une attribution moins certaine) pour expliquer les transformations de l’aliment. Mais il est clair qu’elle intervient, puisque les diverses sécrétions intérieures aboutissant à la formation des tissus et des organes ne sont, en somme, que des coctions. Et Aristote fait ici une remarque qui met bien en relief son génie pénétrant. Il est frappé de la faible masse de l’excrétion solide ou liquide comparée à celle de l’aliment. Il se demande ce que devient l’excédent de nourriture, il remarque que si cet excédent s’ajoutait chaque jour, si faible qu’on le suppose, au corps des animaux ou des plantes, l’être deviendrait énorme (Gen. I). Il ignore la proportion d’eau considérable dans tout aliment même solide, et s’il a peut-être quelques notions de la transpiration cutanée, il n’en a aucune de l’excrétion pulmonaire, par laquelle s’échappe la plus grande partie de cette eau. Dans les données de son temps, sa remarque est donc fort juste et son étonnement tout à fait légitime. D’ailleurs Aristote, qui trace un tableau si net de ce que nous appelons aujourd’hui l’assimilation, n’a aucune idée de la désassimilation, il ne la soupçonne même pas et, de fait, il ne pouvait la connaître. Il ne sait, en somme, que la moitié de la nutrition.

(À suivre.)
Georges Pouchet.
Professeur d’anatomie comparée au Muséum.
  1. Les sécrétions sont subordonnées dans l’économie à une sorte de balancement. C’est parce que la sécrétion est abondante vers les organes génitaux des femelles des vrais Vivipares pour fournir aux menstrues, etc… qu’elles ont moins de sécrétions superficielles : un poil moins épais, pas de crinière, pas de bois, de cornes ni de dents saillantes (Gen. I, 85). Un autre exemple est le suivant : la graisse qui est un sang plus cuit que le liquide séminal, mais cuit d’une autre façon, se produit aux détriments de celui-là (Gen. I, 64-67), comme on le voit par l’exemple des personnes grasses et des animaux soumis à l’engrais.