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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

lement dire, comme on l’a cru, qu’il y ait entre les sexes une différence de l’ordre de celles que constate le thermomètre. De même, mais par une autre suite de déductions, la secousse occasionnée par les poissons électriques était réputée « un froid » [1]. De même encore le Coucou est un animal « froid » parce qu’il vit en état de frayeur constante (Gen., III, 4 et suiv. ; Hist. Anim. VI et IX), étant toujours poursuivi par les petits oiseaux dans le nid desquels il vient déposer son œuf.

Si la chaleur animale est spécifique et se distingue du feu, elle n’en produit pas moins une coction dont nous devons maintenant parler. C’est encore un de ces termes dont il faut bien fixer la signification pour comprendre la physiologie ancienne. De bonne heure évidemment les hommes ont été frappés des changements profonds qu’amène la cuisson dans les aliments que la nature leur donne. Ils les ont si bien appréciés que cette cuisson est devenue, au moins pour certaines races, un besoin. En tous cas, c’est la plus ancienne chimie et c’est peut-être encore la plus ignorée, après celle des êtres vivants. Par une extension toute naturelle, les physiologues en vinrent à appeler « coction » tout changement des matières alimentaires à l’intérieur du corps. La science au début emprunte ainsi parfois ses expressions aux usages journaliers. Et de même que la cuisson améliore l’aliment, de même toute coction intérieure entraînera avec elle l’idée de perfectionnement physiologique. Aristote dira que la chair est un sang bien cuit. Cela signifie que la chair est du sang ayant subi une modification organique ascendante. Les coctions s’échelonnent de la sorte depuis l’entrée de l’aliment dans l’estomac jusqu’à la production des substances dernières dont l’organisme est composé, et qui dérivent de cet aliment,

Toute coction est le contraire d’une corruption[2]. Et puisque la coction représente toujours un progrès organique, il est clair que la corruption (qui en est l’inverse) ne pourra rien engendrer. Une coction ne va pas non plus généralement sans résidu, il faut encore

  1. Voy. De l’histoire de la sensation électrique. Revue philosophique, juin 1879.
  2. Dans un passage du traité De la Genèse qu’il convient peut-être d’attribuer à quelque médecin, l’auteur reproche à Empédocle d’avoir dit que jusqu’au 10e jour du 8e mois le lait de la femme n’est qu’un « pus (πῦον) blanc ». Il est exact qu’au début de la sécrétion mammaire celle-ci a un aspect et une composition particuliers qui la rapprochent réellement de l’humeur des abcès Mais on ne saurait affirmer, d’après un simple fragment, une seule moitié de vers, qu’Empédocle ait eu connaissance de ce fait, bien qu’il ait pu être remarqué des matrones de tous les temps. L’auteur aristotélique en tous cas s’élève contre l’expression du poète physiologue, attendu, dit-il, que le pus est toujours une corruption (σαπρότης), tandis que le lait est une cuisson (πέψις) et que rien n’est plus opposé que ces deux choses.