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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

ont-elles été la cause première de cette attribution ? En somme la Vue était donc de nature aqueuse, l’Odorat de nature ignée, l’Ouïe tout naturellement de nature aérienne, et le quatrième sens de nature terreuse, parce que le Goût et le Toucher s’exercent sur des substances plus ou moins dures, comme les matériaux dont le sol est formé.

Ces qualités, qui dérivent des éléments, nous sont assez souvent présentées dans une sorte d’antagonisme et comme des « contraires[1] ». L’Humide est favorable à la vie, le Sec (ici certainement dans le sens de terreux) est ce qu’il y a de plus opposé aux êtres animés (Gen. II, 9). L’esprit humain s’est de tout temps complu à ces dualités, et certains systèmes vivent encore par elles. En pathologie on a tout expliqué, pendant un temps, par le strictum et le laxum  ; ne s’est-il pas créé une thérapeutique des semblables par opposition à celle des contraires ?

Si l’Humide est favorable à la vie, le Chaud lui est en quelque sorte nécessaire au point de se confondre avec elle. De toute antiquité l’homme a été frappé du phénomène du froid du cadavre qui nous émeut toujours un peu quoiqu’on fasse, quand il s’agit des nôtres ; et nous n’oserions pas répondre que les animaux supérieurs ne sachent y reconnaître aussi la mort de leurs pareils. La notion de vie a donc pu se confondre, elle a se confondre, dès la plus haute antiquité, avec celle de chaleur. « La mort n’est que la destruction de cette chaleur. Et quand elle s’éteint comme un feu qui n’a plus d’aliment, c’est la mort naturelle (Jeunesse, IV-V). Tous les animaux, en effet, ont une certaine chaleur qui leur est propre. Ils en ont plus ou moins, ils sont différemment chauds, et la proportion de chaleur qu’ils ont, exprime leur dignité organique. L’homme est le plus chaud de tous. Dans la vieillesse, cette chaleur devient plus faible parce qu’elle a été dépensée au cours de la vie. Le cœur en est le foyer. » Les plantes, qui sont des êtres vivants, participent naturellement de cette même chaleur. « Si les animaux meurent par défaut de chaleur au cœur, les plantes périssent par défaut de chaleur au collet, qui est comme le cœur du végétal (Resp. XVII, 4)[2] ». Cette « chaleur vitale » a d’ailleurs pour Aristote quelque chose de spécifique. Celle du feu peut favoriser le développement[3], mais n’a

  1. Voy. De l’Âme, I, ii, 21.
  2. « Les êtres incomplets, c’est-à-dire les œufs et les graines avant qu’elles aient des racines, ne possèdent pas de chaleur propre et par conséquent ne meurent pas : ils se dessèchent simplement (Resp. XVII, 4). » On remarquera que ce passage du traité De la respiration, ne paraît pas tout à fait en harmonie avec le passage du traité De la Genèse relatif aux œufs clairs. Voy. ci-dessus, p. 377.
  3. Couvage artificiel des œufs, pratiqué de toute antiquité en Égypte.