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pondent autant de qualités qui se confondent plus ou moins avec eux dans le langage courant : le Chaud ou l’Igné, l’Humide où l’Aqueux, l’Aérien ou le Sec, le Froid ou le Terreux[1]. En sorte que ces qualités semblent moins des effets de la présence des éléments que les éléments eux-mêmes. C’est la confusion que nous faisons encore aujourd’hui à chaque instant et par une sorte d’entraînement naturel entre les propriétés des corps et l’activité résultant de ces propriétés.

Les quatre éléments se combinent en nombre et en proportion variables pour former tous les corps de la nature ; en définitive on rapporte chaque corps à l’élément qui y domine. Mais comme il n’existait aucune règle, aucun procédé d’analyse pour établir quel élément domine dans tel corps ou tel autre, on conçoit que les opinions aient été fort partagées parmi les physiologues, et la doctrine de la collection aristotélique est loin d’être constante sur ce point[2]. Pour Empédocle l’œil était de nature ignée en raison des phénomènes lumineux dont cet organe est le siège. Pour Démocrite et Aristote il est de nature aqueuse, à cause des humeurs qu’il renferme. Les sens eux-mêmes, comme on le voit, étaient rapportés aux quatre éléments : ou n’en comptait que quatre, le Goût et le Toucher, quoique bien distingués par Aristote[3], me formant à ce point de vue qu’un seul sens. Il est assez difficile de découvrir pour quelles raisons l’Odorat était considéré comme de nature ignée. Peut-être les fortes odeurs que répandent en brûlant beaucoup de corps, les odeurs recherchées que développe le feu avec d’autres

  1. Il semble régner une certaine incertitude sur l’attribution du Sec et du Froid, confondus l’un et l’autre tantôt avec l’Aérien et tantôt avec le Terreux.
  2. Le IV : livre de la Météorologie établit dans ces propriétés, qu’on pourrait appeler « élémentaires », deux catégories dont les traités biologiques re font pas aussi bien la distinction. Le Chaud et le Froid sont actifs ; le Terreux et l’Aqueux (c’est ici le sec et l’humide, voy. note précédente) sont passifs. Les terres et l’eau forment la substance des corps (plus ou moins modifiée ensuite par l’intervention de la chaleur ou du froid). Selon que l’Humide au le Sec domine le corps est davantage de la nature de l’un ou de l’autre. L’Humide en modifiant le Sec le détermine à paraître sous une forme nouvelle. L’exemple classique (depuis Empédocle ?) était celui de l’amidon mélangé avec l’eau (et cuit) qui donne l’empois, corps différent de ses deux composants. Les corps étant essentiellement composés de Sec et d’Humide tirent directement de cette constitution une propriété variable, la dureté ou la mollesse. On appelle « dur » ce qui ne cede pas et garde sa forme ; « mou » ce qui cède, mais ne s’écoule pas naturellement. Ainsi on ne saurait dire que l’eau est molle. Tous les corps étant plus ou moins durs, le sens du toucher nous fournira la mesure de cette qualité : les corps auxquels cède le doigt sont durs, ceux qui cèdent sous le doigt sont mous, etc… Tout ce passage de la Météorologie (IV, iv) semble d’une science plus avancée et probablement postérieure à Aristote.
  3. Voy. plus loin.