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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

Mais les animaux se distinguent des plantes en ce que tous jusqu’aux derniers sentent, car tous ont au moins le sens du toucher. Les animaux auront donc en plus de l’âme trophique une seconde âme sensitive (αἰσθητική). Enfin il y aura une troisième âme pensante, intelligente (νοητική) réservée aux animaux supérieurs et à celui qui occupe le plus haut rang dans la nature (Gen. II, 37)[1]. Ces trois psychés apparaissent d’ailleurs successivement chez le fœtus dans l’ordre même où nous les énumérons. Le germe ne vit d’abord que d’une sorte de vie végétale, il possède donc l’âme trophique[2]. Ce n’est que plus tard qu’on peut parler de l’existence en lui d’une âme sensible et d’une âme pensante (Gen., II, 37).

On trouve au traité De la jeunesse (III, 9) une énumération un peu différente des trois psychés qui y sont dénommées : 1o sensitive ; 2o accrescive (αὐξητική)[3] et 3o nutritive ou trophique. L’âme accrescive en vertu de laquelle la plante ou l’animal s’accroissent en tous sens, Comme on l’a vu plus haut, est la propriété essentiellement vitale, que nous appelons aujourd’hui « développement ». Le sens du mot ψυχή reste encore ici celui que nous indiquons[4]. On ne saurait le comprendre autrement. Les « âmes » d’Aristote n’ont rien de commun, absolument rien, avec ce qu’on a désigné du même nom dans les religions et les philosophies modernes. Ce n’est pas à Athènes seulement que les idées du Stagyrite auraient pu soulever l’opinion et le faire bannir pour impiété, tout au moins pour matérialisme.

À côté des psychés, les corps vivants possèdent, comme tous les corps naturels, des propriétés en rapport avec les quatre éléments : le Feu, l’Eau, l’Air, la Terre. Aristote par ce côté se rattache entièrement à la doctrine d’Empédocle. Aux quatre éléments corres-

  1. Comme on le voit nous complétons ici le traité De l’Âme ou du moins ses premiers livres, par les premiers livres du traité De la Genèse.
  2. L’œuf clair a une âme ; s’il ne vit pas, dans le sens des œufs féconds, puisqu’il n’en sort rien de vivant, on ne saurait non plus l’assimiler à un corps inerte, car il est soumis à certaines corruptions qui laissent à penser qu’il avait un certain degré de vie. On en doit donc conclure qu’ils possède aussi une âme mais de l’espèce inférieure telle que l’âme trophique qu’ont tous les animaux et toutes les plantes sans exception (Gen. II, 75). — Voy. ci-dessous, sur les œufs clairs.
  3. La botanique emploie le terme « accrescent », — La psyché accressive et par cela même « formative » nous conduit à cette psyché qui n’est que le dessin du corps comme dans l’exemple de la boule de cire.
  4. M. Philibert (Du principe de la vie suivant Aristote, Thèse 1865) se rapprochait du véritable sens qu’il convient de donner à ce mot ψυχή dans Aristote en croyant y découvrir l’équivalent de ce qu’on appelait il y a cinquante ans le « principe vital ». La traduction que nous en proposons par « propriétés vitales (ou morphologiques ?) » nous semble beaucoup plus rigoureuse et est en même temps tout à fait en harmonie avec la science moderne.