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On ne dirait pas mieux aujourd’hui. Et il ajoute : « Il y a dans tout être vivant trois choses : l’être lui-même, l’aliment qui le nourrit et la faculté en vertu de laquelle l’animal se forme de l’aliment : cette faculté est la première âme (ἡ πρώτη ψυχὴ)[1]. » Puisque celle-ci est la première âme il y a donc plusieurs âmes ou psychés dans l’animal, car on aurait tout avantage à reprendre cette simple transcription du mot grec. Bien des confusions seraient ainsi évitées. On a écrit des volumes sur ces psychés d’Aristote qui se condensent dans sa doctrine en une seule portant le même nom. À celle-ci est consacré un traité spécial, dont les deux premiers livres, fort supérieurs aux suivants selon l’usage, doivent être attribués au Stagyrite. La lecture de ces deux premiers livres ainsi que les nombreux passages concordants de la collection ne laissent à notre sens aucun doute sur la signification de ce mot ψυχὴ qu’on a obscurcie comme à plaisir et pour le besoin de causes diverses. Il désigne tout simplement dans la langue d’Aristote soit l’ensemble des propriétés qui caractérisent l’être vivant[2], soit chacune d’elles en particulier. Le nombre des psychés sera donc indéterminé puisqu’Aristote applique ce nom à la propriété, c’est-à-dire à la fonction spéciale de chaque organe en particulier. « Si l’œil était un animal, l’âme de cet animal serait la vie, car la vue est rationnellement l’essence de l’œil. L’œil est la matière de la vue ; et la vue (= l’âme, la propriété de l’organe) venant à manquer, il n’y a plus d’œil si ce n’est par homonymie, comme on appelle œil un œil de pierre ou un œil en peinture (Âme, II, i, § 9). Dans un passage demeuré célèbre il dit encore que la forme ronde donnée à une boule de cire est sa psyché, son âme. Ce terme pouvait donc à la rigueur désigner aussi les propriétés morphologiques des corps, et l’École l’eût appliqué sans doute aux formes définies des cristaux, si celles ci avaient davantage fixé l’attention des anciens. Toutefois Aristote réserve évidemment de préférence le terme psyché aux propriétés les plus générales des êtres vivants et il n’en reconnaît ordinairement que trois. On a vu ce qu’était la première, il appelle cette psyché commune à tous les êtres vivants sans exception plantes où animaux, la psyché ou l’âme trophique (θρεπτική)[3].

  1. (Âme, II, iv, § 14).
  2. « L’âme et le corps sont l’animal », dit Aristote avec raison (Âme, II, ii, 11), entendant par là que l’être vivant est un composé d’organes ayant chacun leur propriété ou inversement un ensemble de propriétés avec leur substratum organique. — De même : « Si la chair est morte (= c’est-à-dire si la ψυχὴ s’en est retirée ; c’est improprement qu’on l’appelle encore de la chair (Gen. II, 21), tandis que les fragments d’une statue sont encore du bois et de la pierre. »
  3. (Âme, II, ii, § ; Gen. II, 34).