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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

que des individus femelles ; et il reprend : « Toutefois on n’a pas encore sur ce point une expérience suffisante, tandis qu’il y a des poissons comme l’Anguille qui ne sont bien certainement ni mâles ni femelles (Gen., II, 76). » On sait que le mystère des sexes de ces animaux n’a été définitivement éclairci que depuis peu d’années par les travaux de M. Ch. Robin.

Aristote a très exactement décrit la fécondation des poissons, la femelle pondant ses œufs, et le mâle venant les arroser de sa liqueur séminale. Il sait que le contact de celle-ci est la condition de leur développement. Et, à ce propos, il combat un préjugé très répandu, parait-il, de son temps (Hist. Anim. V, iv), d’après lequel les poissons femelles dévoraient la semence des mâles, qui ne manquaient pas de rendre la pareille aux œufs de la femelle aussitôt qu’elle les pond. « Des pêcheurs, ajoute Aristote, prétendent avoir été témoins du fait, mais l’observation des phénomènes naturels n’est point leur affaire, et, pour une foule de raisons, ce prétendu mode de fécondation n’est qu’un conte : D’abord dans la même espèce de poissons le développement de la laitance et des œufs chez le mâle et chez la femelle va toujours de pair et ils perdent l’un et l’autre en même temps. De plus la laitance des mâles passerait alors dans l’intestin des femelles, qui n’aboutit pas à la matrice[1] ; et, dans ce cas, ne pourrait leur servir que de nourriture. La raison de toutes ces fables est dans l’ignorance de ceux qui les propagent. Il existe chez les animaux une variété infinie de modes d’accouplement et de développement. Et même alors que le fait extraordinaire dont il vient d’être question, aurait été observé chez un espèce, on aurait tort de croire que les choses se passent chez toutes de la même façon (Gen., III, 61) ». Et du coup Aristote réfute avec le même netteté plusieurs autres erreurs pareilles en les expliquant[2].

  1. Aristote, comme on le verra plus loin, confond, chez tous les animaux, l’ovaire et la matrice.
  2. On dit que le Corbeau et l’Ibis se fécondent par le bec. « Pour les corbeaux, cela vient de ce qu’ils ont comme tous les oiseaux qui leur ressemblent et particulièrement les choucas en captivité, l’habitude de se bécoter, tandis qu’on ne les voit pas ordinairement s’accoupler. Les pigeons se bécotent aussi, mais personne ne s’y trompe. Il est incroyable qu’on ne se soit pas demandé comment le fluide séminal du mâle pourrait arriver à la matrice par les intestins qui ont la propriété de cuire (= digérer) tout aliment. » — On a dit que la Belette mettait bas par la gueule : « la Belette a la matrice placée comme les autres animaux, seulement elle met bas des jeunes très petits et elle les transporte avec sa gueule. De là l’origine de la fable en question. » — « L’Hyène passe pour être alternativement chaque année mâle et femelle, et Hérodote d’Héraclée raconte la même chose du Trochos ( ?). Chez l’’Hyène tout au moins l’explication est des plus simples ; elle porte, tant le mâle que la femelle, un repli de la peau qui figure grossièrement une vuive » (Gen. III, 66-68, Voy. en outre sur cette particularité de l’Hyène, Hist. Anim. VI, xxviii).