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Les connaissances anatomiques d’Aristote ont donc essentiellement pour base et pour point de départ les animaux de boucherie. Descartes, à vingt siècles d’intervalle, recommandera aux philosophes la visite des échaudoirs, Galien l’avait déjà fait. Nous ignorons si le chef de l’école péripatéticienne était dans les mêmes idées. Mais il semble n’avoir pas dédaigné non plus la fréquentation des bouchers, à en juger par la description qu’il donne des estomacs du mouton et du bœuf. Il déclare au traité Des parties tenir des éleveurs d’abeilles les renseignements propres à l’édifier sur leur mode de reproduction. Ses recherches sur l’embryogénie du poulet nous le montrent de même en rapport avec les métayers, les éleveurs de volaille (voy. Gen. I, 34) nombreux à Athènes et déjà en quête des meilleurs procédés pour créer de belles races de poules. Il ne dut pas interroger moins souvent les pêcheurs du Pirée et il sut admirablement faire son profit de ce qu’ils lui disaient, prenant le vrai et laissant le reste. De nos jours M. Coste n’avait-il pas rencontré en Bretagne un simple pêcheur parfaitement ignorant, mais attentif aux mœurs des animaux de la mer ? Si l’excellent homme n’a pas fait, comme il a pu se l’imaginer, les travaux de l’illustre embryogéniste, il l’a mis peut-être plus d’une fois sans le savoir sur la piste de découvertes importantes. Il est fort possible qu’Aristote ait de même trouvé quelque pêcheur intelligent pour lui donner tous ces détails précis qu’il connaît sur les mœurs des Cétacés et principalement des Céphalopodes.

Aristote a été avant tout un grand observateur, observateur dans la plus haute acception du mot, c’est-à-dire qu’il ne se borne pas à enregistrer les faits naturels, il les discute, il les classe, il les compare, il en saisit les rapports avec une sagacité profonde, une méthode à laquelle on ne peut rien reprendre : « Gardons-nous, dit-il, d’établir d’après les apparences ce qui doit être et de préjuger qu’une chose doit être de telle et telle façon sans qu’elle ait été directement observée. » Nul n’a mieux su que lui mettre ce précepte en pratique. « On dit bien qu’il y a des espèces animales uniquement composées de femelles, ajoute-t-il, mais cela n’a pas encore été observé d’une manière certaine. Toutefois en ce qui concerne les poissons, le doute est permis. » Aristote fait ici allusion à l’Érythrine (sorte de Serran) dont on ne trouvait jamais, disait-on,

    des apoplexies ; de même dans le foie et le poumon, mais surtout dans la rate (Des Parties, III, 5.) Les altérations pathologiques du cœur facilement appréciables à la vue, sont en effet fort rares chez les animaux. Et cela concordait avec la doctrine d’Aristote suivant laquelle toute altération du cœur devait nécessairement entraîner la mort (Ibid.).