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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

la Taupe avec toutes leurs parties et même le nerf optique (Hist. Anim., IV, viii, 2). Il recommande aussi quelquefois l’examen sur le vif, mais cela est rare : contre plusieurs philosophes il prétend que le fœtus dans le ventre de la mère, le poulet dans l’œuf ne dorment pas tout le temps et il conseille, pour s’en assurer, d’ouvrir la matrice d’une femelle pleine et d’examiner les fœtus (Gen. IV, 8, et V. — Voy. plus loin). Aristote n’a jamais été non plus un expérimentateur. L’expérience célèbre, dite d’Aristote, qui consiste à appliquer les doigts croisés sur un objet saillant de façon à le sentir double, n’est pas de lui. Il se borne à invoquer pour les besoins d’un raisonnement, cette épreuve « souvent citée (Des Rêves II, § 13). »

On ne peut guère appeler expériences les observations suivantes : « Quand on approche le doigt des Pectens qui sont ouverts, ils ferment leur coquille et c’est à croire qu’ils voient » (Hist. Anim. IV, viii, 25[1].) On juge de l’existence de l’odorat chez les animaux inférieurs par ce fait qu’ils recherchent ou évitent certaines odeurs : il suffit de répandre de l’origan et du soufre sur les fourmilières pour que les Fourmis les désertent (Ibid. IV, viii, § 24). Enfin les Guêpes, les Scolopendres dont on a enlevé la tête, ou qu’on a coupées par tronçons, continuent de vivre. Il est souvent parlé de ce fait dans la collection aristotélique (entre autres Hist. Anim. IV, vii, § 3)[2]. Mais tout le monde connaît cela : ce sont expériences aussi vieilles que les jeux de « l’âge sans pitié ». De même pour les Tortues auxquelles on a enlevé les entrailles et qui vivent encore : on savait cela dans toutes les cuisines d’Athènes. Aristote invoque ces faits connus à l’appui de ses doctrines ou bien il les explique : ce n’est pas là expérimenter comme fera Galien et dans le sens que la physiologie moderne attache à ce mot.

À quelles sources en dehors des auteurs qui l’avaient précédé Aristote a-t-il donc puisé ses connaissances ? Pour l’anatomie comparée ce fut sans doute dans la fréquentation des sacrificateurs et des bouchers. Les premiers, par l’importance même donnée aux signes des viscères, devaient les connaître assez bien. Aristote juge lui-même que le cœur ne présente jamais aucune altération chez l’animal en santé, par ce fait qu’on ne le trouve jamais malade dans les sacrifices, tandis que les autres organes le sont souvent[3].

  1. Aristote ne connaissait pas les yeux brillants qui bordent le manteau de l’animal et il ne pouvait guère les connaître ; on n’étudie bien le rôle de ces yeux qu’en observant l’animal dans des vases transparents, que les anciens n’avaient pas. Il ne faut jamais perdre de vue les conditions défavorables de toute façon où ils observaient.
  2. Voy. ci-dessus p. 367 et plus loin.
  3. Les reins sont fréquemment pleins de pierres, on y trouve des abcès