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culière : telle ou telle lecture d’un texte importe assez peu quand il s’agit de poésie ou de développements oratoires, il n’en est plus de même dans un exposé de notions exactes ou de renseignements précis que nous ne pouvons pas contrôler d’autre part. Et cependant, ces incorrections du fait des copistes accumulées pendant plus de mille ans[1], ne seraient rien : les manuscrits aristotéliques ont eu malheureusement le sort commun des manuscrits, celui qu’ils ont encore de nos jours dans tout l’Orient. Les premiers copistes d’Aristote furent des disciples ; et d’après les idées nouvelles de leur temps, d’après ce qu’ils croyaient savoir ou connaître mieux que le maître, ils ont ajouté des commentaires, des vues personnelles, des renvois qui se croisent à chaque instant, des annotations, des phrases, des paragraphes entiers en forme de supplément. Et peu à peu — toujours l’histoire des livres orientaux — ces excroissances ont passé dans le texte, sont devenues des chapitres entiers, qui contredisent souvent le texte original conservé dans d’autres. On a mis, croyant servir la mémoire du philosophe, le nom d’Aristote sur des traités qu’il n’avait point écrits. Dans une intention non moins excellente on a modifié la distribution primitive de l’œuvre, séparé ce qui était uni, et recousu dans un autre ordre des parties disjointes. D’où des répétitions sans nombre, des contradictions flagrantes et l’impossibilité où nous sommes d’assigner un ordre quelconque à des traités qui mutuellement s’annoncent comme devant suivre. Et tel est ce désordre que le mieux, pour la critique moderne, est de ne point chercher à le réparer. IL suffit de ne jamais perdre de vue que l’œuvre dite d’Aristote est celle d’une collectivité. Nous ne reviendrons pas sur ce sujet ; il doit demeurer entendu qu’en citant Aristote ou ses opinions, nous n’entendons pas mettre en cause directement et personnellement le chef de l’école péripatéticienne, mais le groupe qui a suivi et recueilli son enseignement. Il importe peu, en effet, pour le but que nous nous proposons, que les livres donnés comme d’Aristote soient de lui ou de ses élèves, pourvu qu’ils traduisent fidèlement les doctrines de l’école au moment où il enseignait ou peu de temps après lui. Malheureusement il n’en est pas même ainsi. Quand on lit les livres de cette collection relatifs aux sciences biologiques, on éprouve ce sentiment très net, que si tous à peu près se relient, surtout par leur commencement, à un système scientifique qui doit avoir été celui du maître, tous ont dû également subir dans leur texte des interpolations parfois considérables conçues d’un tout autre esprit.

  1. Les plus anciens manuscrits connus d’Aristote ne remontent pas au delà du Moyen âge.