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le saut d’une puce[1], l’origine du bruit strident que fait le vol des cousins ? Et pourtant ce maître-là tenait surtout école de morale ! Mais si l’on pouvait écouter Socrate en s’arrêtant d’une promenade ou comme on va entendre un philosophe agréable, il fallait pour suivre les leçons d’un Démocrite ou d’un Aristote, sous peine de ne les point comprendre, en savoir presqu’autant que nos bacheliers en géométrie[2] et de même probablement pour le reste. Ces étudiants devaient avoir entre les mains, sur toutes sciences, une foule d’ouvrages, de recueils, d’opuscules, de manuels, d’aide-mémoire, etc. Tous ces livres ont péri, et trop volontiers nous négligeons d’en tenir compte. Plusieurs parmi ceux qui auraient pour nous le plus d’intérêt aujourd’hui, ont pu n’être jamais cités par les auteurs qui sont parvenus jusqu’à nous, comme ces événements connus d’une population entière et sur lesquels il n’est resté aucun document écrit[3]. Aristote signale à plusieurs reprises, en parlant des poissons par exemple, les erreurs de certains naturalistes sans citer leurs noms. D’autres naturalistes de son temps connaissaient la ponte de l’Huître et de la Moule (Des parties, IV, 5) : nous ne savons pas leurs noms et cependant ils avaient raison contre Aristote qui prend pour de la graisse les ovaires de ces animaux gonflés d’œufs. Sans la description des veines empruntée à Diogène, dont nous avons parlé, saurions-nous que ce philosophe doit être rangé parmi les pères de l’Anatomie ? L’auteur de l’Histoire des animaux cite encore une autre description des veines du corps par le cypriote Syennesis, dont le nom même serait inconnu sans ce passage si important pour l’histoire de la circulation du sang. Aristote combat Syennesis et Diogène d’Apollonie : faut-il en conclure qu’il n’existait pas d’autres traités d’anatomie que les leurs ?

À propos de la respiration, Aristote signale les systèmes d’Anaxagore, d’Empédocle, de Diogène, de Démocrite et de Platon ; et il ajoute cependant que peu de physiologues ont traité ce sujet. Plus nombreux étaient donc les auteurs à consulter sur d’autres points de physiologie ? Il cite un certain Leophanes, auteur d’un traité très spécial, De la superfétation, et il le cite parce que, sur un point, il est en désaccord avec lui (Gen. IV, 17). Autrement, nous ne con-

  1. Voir les très intéressantes études de M. Plateau sur ce même sujet.
  2. Aristote (Gen. II, 86) suppose que son lecteur connaît les propriétés des triangles et l’impossibilité d’exprimer par un nombre le rapport du diamètre au bord (πλευρά) du cercle (= à la circonférence).
  3. On peut rappeler cet incendie des combles de Notre-Dame qui dut être vu de tout Paris et qu’on connaît seulement par les traces du feu (voy, Viollet-le-Duc).