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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

lui, en vertu d’une sorte d’attraction du soi pour le soi, chaque organe s’appropriant dans l’aliment les atomes de même espèce que ceux dont il est lui-même composé. Il a aussi très vraisemblablement donné une théorie complète des sens et de la sensation (Voy. Arist. Sens, IV, 13 et Théophraste). C’est en de tels sujets qu’il est surtout difficile de juger d’une doctrine par des citations détachées ou par des réfutations de détail qui, d’ordinaire, défigurent l’idée combattue. Démocrite n’a pas non plus négligé l’embryogénie. Il pense que le temps de la gestation est destiné à permettre à l’embryon de mouler jusqu’à un certain point ses propres formes sur celles de la mère ; Aristote répliquera en alléguant l’exemple du poulet dans l’œuf. Il pense aussi (Voy. Gen. II, 64), que les parties extérieures du corps de l’embryon se constituent, se sculptent en quelque sorte avant les organes internes. Comme si, réplique Aristote, l’animal était fait de bois ou de pierre ! Ce n’était peut-être pas répondre, mais il fallait accorder les choses avec le rôle primordial du cœur, pivot de l’embryogénie aristotélique.

Ce n’est pas sans regret que nous nous bornons à ces indications sommaires. Quel sujet séduisant et neuf qu’une histoire des sciences de la vie avant Aristote ! Il nous suffit d’avoir montré par ces exemples la place qu’elles tenaient dans l’ancienne philosophie. Hippocrate est le contemporain de Démocrite : nous n’en parlerons pas, voulant rester dans le domaine de la biologie spéculative, en dehors de toute application au soulagement ou au bien-être de l’homme. En réalité, vers la centième Olympiade, quand naît Aristote, toutes les branches de la biologie pure ou appliquée étaient déjà cultivées en Grèce et avaient été l’objet des méditations et des recherches des plus grands esprits. Et comment n’en aurait-il pas été ainsi” ? Sommes-nous donc dans un monde nouveau ? Si Rome naissante lutte encore pour l’existence contre les peuples italiotes, l’esprit grec a déjà atteint les plus hauts sommets. C’est son déclin qui commence. Hérodote, Thucydide sont devenus ce qu’on appellerait aujourd’hui des « classiques » ; les tragédies de Sophocle ont vieilli comme celles de Voltaire pour nous. L’art grec a donné depuis près d’un siècle sa plus haute expression et la patine du temps commence à brunir les marbres du Parthénon. Les élèves qui se pressent aux leçons des philosophes dans la plupart des écoles, même à Athènes, ont une instruction solide, car les sciences y sont professées et en honneur autant que la morale. Quand Aristophane a voulu rire de la philosophie n’a-t-il pas montré Socrate plongé dans des problèmes de physiologie que l’auteur comique croit ridicules,