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mation du fœtus et fait venir les parties qui le constituent, de chacun des deux parents où elles étaient en quelque sorte partagées avant la fécondation (Gen. IV, 10).

Sur ce sujet, qui a beaucoup préoccupé les philosophes avant Aristote, Anaxagore est d’un autre sentiment : Il soutenait que la mère n’est qu’une sorte de vaisseau ou de réceptacle dans lequel se développe le germe et que celui-ci provient tout entier du mâle. Dès lors les sexes existent préformés dans les organes du père. Les mâles viennent du côté droit, les femelles du côté gauche ; dans le corps de la mère les mâles se placent de même du côté droit de la matrice, les femelles du côté gauche (Gen. IV, 2). Aristote n’aura pas de peine à démontrer la fausseté de ces vues par la distribution toujours irrégulière des sexes sur les fœtus des animaux pluripares dans la matrice. — Anaxagore, en proclamant la permanence de la matière, que rien ne naît ni ne périt (οὐδὲν γὰρ χρῆμα γίγνεται οὐδὲ ἀπόλλυται), que tout devient, avait été conduit à cette constatation que la nourriture développe et fait croître toutes les parties de l’organisme, et que par conséquent toutes ces parties doivent être contenues dans l’aliment, mais sous une forme ei avec des propriétés différentes (voy. Gen I. 44). Il est possible qu’Aristote lui ait emprunté du moins le fond des idées si nettes qu’il se fait d’une partie de la nutrition et qui sont comme le pivot de toute sa physiologie[1].

À Diogène, Aristote emprunte une description fort détaillée de la distribution des veines du corps. On peut juger par elle de la place donnée aux connaissances anatomiques dans les œuvres perdues du philosophe d’Apollonie.

Parmi les physiologues précurseurs d’Aristote, Démocrite mérite une mention à part. Il précède immédiatement le Stagyrite, qui le cite souvent pour le réfuter, et qui avait même écrit un ouvrage spécial sur ses doctrines. Malheureusement les œuvres de Démocrite ont péri et c’est sans doute un irréparable désastre pour l’histoire de l’esprit humain. La biologie devait y tenir une place importante, d’après les fréquentes allusions qu’y font Aristote et Théophraste. Il paraît s’être beaucoup préoccupé, comme Anaxagore, de la nutrition et de la fixation des aliments dans l’organisme. Elle a lieu, selon

  1. Anaxagore n’avait pas écrit seulement sur la physique et l’astronomie ; il donne des tremblements de terre volcaniques (les seuls qu’on connût alors) une explication à laquelle nous n’avons rien changé, puisqu’il les attribue aux mouvements des gaz comprimés dans les cavités de la terre ; il paraît avoir eu la conception très nette de la matérialité de l’air. Il a écrit aussi sur la médecine ; Aristote (Des parties IV, 2) lui reproche (à tort) d’admettre que la bile soit l’origine de maladies inflammatoires, quand trop abondante elle se répand dans le poumon, les veines et les côtes (τὰ πλευρά).