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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

Si nous ne savons rien de positif des travaux de Thalès, il est certain d’autre part que l’Association pythagoricienne poussa très loin les mathématiques et l’astronomie. Elle a de plus institué des expériences dont nous admirons la délicatesse, puisqu’elles fixent à un quatre-vingtième près la longueur des cordes en rapport avec les intervalles musicaux du « diapason ». Pythagore ou ses disciples inaugurent ainsi, par une découverte éclatante, la physiologie des sens. Platon en subira l’influence. De même les aristotéliciens reconnaîtront sept saveurs aussi bien que sept couleurs (Sens, IV. 13) : le blanc (λευκός), l’écarlate (φοινίκεος), le violet (ἁλουργής), le vert (πράσινος), le bleu (κυάνεος), le brun (φαιός), le noir (μέλας)[1], et Newton ne prendra pas d’autre règle pour diviser son spectre solaire. Les pythagoriciens auraient, dit-on, fait jouer un rôle important à l’encéphale comme siège des sensations ou tout au moins du sens de la vue. Enfin, c’est à eux que remonterait l’usage courant du mot ψυχή, psyché, « âme », dans le sens où l’emploie Aristote[2].

Après Pythagore, les noms célèbres de Diogène d’Apollonie, d’Empédocle, d’Anaxagore marquent une étape nouvelle dans l’histoire des sciences de la vie. Mais leurs opinions, leurs doctrines ne sont connues que par des fragments épars.

Empédocle paraît avoir nettement formulé le premier dans ses vers, la composition de tout ce qui est au monde par quatre éléments, la Terre, le Feu, l’Eau et l’Air, doctrine à laquelle Aristote n’ajoutera rien et qu’il placera à la base de son système biologique. Empédocle se fait, sur l’apparition des êtres vivants, des idées qui nous semblent aujourd’hui bien singulières : il les fait sortir de l’agencement spontané des quatre éléments[3] Il croit que des têtes, des bras, des yeux, des fronts se sont nés indépendamment, puis se sont réunis les uns aux autres dans des combinaisons plus ou moins favorables. De ces combinaisons le plus grand nombre a péri[4] par manque d’harmonie. Mais à la longue (Âme, III, VI), les êtres qui peuplent actuellement la Terre ont été le résultat des combinaisons heureuses. Empédocle étend son Système à la for-

  1. Théophraste arrive de même à sept dénominations d’odeurs (Des odeurs, I).
  2. On prétend qu’Alcméon, disciple de Pythagore, croyait que les chèvres respirent par les oreilles. Même avec les idées fort peu avancées que l’on avait alors sur la respiration (voy. plus loin), il est impossible de ne pas croire qu’il y ait là évidemment fable ou erreur. On doit toujours, dans l’histoire des sciences, tenir compte des erreurs légitimes des anciens, mais ce n’est pas le cas pour celle dont nous parlons, au moins dans la forme qu’on lui donne.
  3. Les passages conservés paraissent ne laisser aucune place au doute sur cette opinion.
  4. Voy., v. 292-244, Karsten, Empédocle.