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précises que comporte l’état de civilisation par lequel a passé la Grèce auraient pu exister sans doute indépendamment de toute culture scientifique proprement dite. L’extrême-Orient nous en fournit un exemple. Mais il faut tenir compte ici du génie grec et il faut admettre que chez ce peuple extraordinaire le contact journalier, l’intime familiarité avec les phénomènes naturels, que suppose tout travail d’esprit où même tout travail manuel délicat, ont dû de très bonne heure éveiller en lui le goût des recherches spéculatives. Les civilisations sont peut-être nées sur les bords du Nil ou des fleuves de la Chine : les rives de ces mers heureuses, la mer d’Ionie et la mer Égée ont été le berceau des sciences, rimées d’abord dans les poèmes religieux, puis formulées par les philosophes. Le travail ne s’est pas accompli en un jour et malheureusement presque tous les stades de cette évolution nous sont inconnus.

Pour les sciences de la vie, Hippocrate et Aristote presque contemporains (ils ont pu se connaître) semblent marquer en arrière de nous l’époque précise où elles ont surgi du néant. Mais c’est là une apparence. La conservation des œuvres de ces deux grands hommes dénote assez quelle place importante ils ont tenue de tout temps ; ce serait toutefois une grave erreur de croire que la connaissance scientifique des êtres vivants ou des maladies date seulement de leurs travaux.

Quand ils parurent, depuis bien longtemps déjà il y avait des médecins et depuis longtemps aussi des naturalistes, des physioloques, comme on les appelait, qui avaient écrit sur tous les sujets imaginables se rapportant à la physiologie, à l’anatomie, à la zoologie, à la médecine, à l’art des accouchements, à la zootechnie. Malheureusement leurs œuvres ont péri, ou nous n’en connaissons que des débris tout à fait insuffisants pour reconstituer des systèmes dont nous devinons seulement la grandeur. Dans ce naufrage à peu près général de l’œuvre scientifique accomplie depuis la cinquantième jusqu’à la centième olympiade, seules les œuvres d’Hippocrate et d’Aristote ont survécu. Sans rien diminuer de leur mérite, il est permis de supposer qu’ils eurent en cela un rare bonheur. Quelle curieuse histoire ce serait, si les documents n’en étaient perdus à tout jamais, que celle du développement intellectuel du monde grec pendant cette longue période de plus de deux siècles dont Aristote va recueillir l’héritage.

Déjà dans les poèmes orphiques, il était fait allusion à la formation des êtres et à la manière dont tous les organes apparaissent les uns après les autres dans leur relation mutuelle, comme les nœuds d’un filet : c’est Aristote lui-même qui cite ce passage (Gen. II, 17).