Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
351
variétés

Des géomètres, qui ne donnaient pas comme lui le nom de démonstration à de simples systèmes, et qui n’avaient garde surtout de trouver dans la musique ce qui n’y est pas, éclaircirent et réformèrent même à quelques égards ses idées un peu informes et confuses[1], les mirent en ordre, les apprécièrent, indiquèrent même tout ce qui y restait à désirer, en exhortant les musiciens à trouver mieux, ce qu’ils n’ont point fait encore.

Dans ce même temps, un autre musicien célèbre, Tartini, fondait la théorie musicale sur une autre expérience, sur celle du troisième son que font entendre deux sons frappés à la fois[2]. Mais ce principe avait le même défaut que celui de la résonance du corps sonore ; il ne satisfaisait guère aux faits connus et, suivi scrupuleusement, il aurait donné une harmonie peu agréable. Tartini ajouta à son système des idées étranges, comme Rameau avait fait au sien ; il trouva dans le cercle je ne sais quelles propriétés harmoniques.

Des musiciens, venus depuis, ont voulu substituer d’autres idées à celles de Rameau et de Tartini[3], mais aucun n’a pu parvenir encore à convaincre ni ses confrères ni les philosophes de l’évidence de ses principes ; ils se contentent, chacun en particulier, de mépriser beaucoup le système qui n’est pas le leur.

Gardons-nous pourtant, en ce genre, comme en beaucoup d’autres, d’interdire les systèmes aux philosophes. Dans une tête pensante et active, souvent une vérité touche à une erreur qui la précède et qui l’amène et l’on se priverait de cette vérité si on ne laissait pas un libre essor à l’erreur dont elle tire son existence, non naturelle sans doute, mais souvent très importante et très précieuse. N’oublions pas que, si Képler trouva la loi astronomique qui Pa immortalisé, c’est d’après quelques idées chimériques dont il était prévenu sur certaines perfections pythagoriques des nombres, et que nous devons des découvertes chimiques aux efforts de plus d’un artiste pour trouver le grand œuvre.

Ces différentes théories musicales ont d’ailleurs un autre genre d’utilité. Si aucune ne renferme encore le vrai système de la musique, elles servent du moins à classer les faits, à les mettre en ordre et à les rendre par là plus faciles à retenir, à peu près comme les méthodes de botanique, bonnes ou mauvaises, servent à ranger les plantes dans la mémoire.

Jusqu’à ce qu’on ait trouvé le vrai système musical et le vrai système des plantes (si pourtant ce système existe), chacun pourra choisir en

  1. Par exemple sur l’origine du mode mineur, v. nos Éléments de musique, 2e édition, p. 33 ; V. encore la page 80 des mêmes éléments sur ce que Rameau appelle le double emploi de la dissonance ; la page 85, sur la basse fondamentale de la gamme en descendant, et les notes des pages 90 et 175 sur l’Accord des sixtes superflues.
  2. C’est le but des Éléments de musique, publiés en 1752 par l’auteur de ces opuscules (d’A.).
  3. Avant Tartini, Sorges (1745) et Romien (1753) avaient découvert les sons résultants.