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variétés

Les premières théories de la musique, il est vrai, remontent presque jusqu’au premier âge connu de la philosophie, au siècle de Pythagore, et l’histoire ne nous laisse aucun lieu de douter que, depuis le temps de ce philosophe, les anciens n’aient fort cultivé la musique, et comme art et comme science. Mais presque toutes les questions qu’on a proposées sur la musique ancienne ont partagé les savants et vraisemblablement les partageront longtemps encore, faute de monuments suffisants et incontestables dont on puisse substituer le témoignage aux Suppositions et aux conjectures. Nous souhaiterions beaucoup que, pour éclaircir autant qu’il est possible ce point important de l’histoire des sciences, quelque homme de lettres, également versé dans la langue grecque et dans la musique, s’occupât à réunir et à discuter dans un même ouvrage les opinions les plus vraisemblables établies ou proposées par les savans sur une matière aussi curieuse. Cette histoire raisonnée de la musique ancienne est un ouvrage qui manque à notre littérature[1].

Si l’harmonie, telle que nous la pratiquons, est due aux expériences et aux réflexions des modernes, il y a beaucoup d’apparence que cet art a eu, comme presque tous les autres, des commencements faibles et presque insensibles, et qu’ensuite, augmenté peu à peu par les travaux successifs de plusieurs hommes de génie, il s’est élevé au point où nous le voyons. On ignore le premier inventeur de chaque science, parce que ce premier inventeur n’avait fait qu’un premier pas, qu’un second en a fait ensuite un autre et queles premiers essais en tout genre ont été comme effacés par les vues plus parfaites que ces essais ont produites. Ainsi les arts dont nous jouissons n’appartiennent, pour la plupart, à aucun homme en particulier, à aucune nation exclusivement ; ils appartiennent à l’humanité entière ; ils sont le fruit des réflexions réunies et continues de tous les hommes, de toutes les nations et de tous les siècles.

Il serait cependant à désirer qu’après avoir constaté, autant qu’il est possible paf le peu d’écrivains grecs qui nous restent, l’état de la musique ancienne, on s’appliquât ensuite à démêler dans les siècles postérieurs les premières traces incontestables de l’harmonie et à en suivre les traces de siècle en siècle. Le résultat de ces recherches serait sans doute très imparfait à cause du peu de livres et de monuments que nous avons du moyen âge ; ce résultat néanmoins serait toujours précieux aux philosophes qui aiment à observer l’esprit humain dans son développement et dans ses progrès.

Les premiers ouvrages que nous connaissons sur les lois de l’harmonie ne remontent qu’à environ deux siècles ; ils ont été suivis de beaucoup d’autres. Mais, dans la plupart de ces ouvrages, on s’est presque

  1. Maintenant on possède les travaux de Vincent, de Bellermann, de Westphal coordonnés et développés dans le beau livre d’Auguste Gevaert : Histoire et théorie de la Musique dans l’antiquité, Gand 1875, 2 vol.  in-8o (C. H.).