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RÉFLEXIONS INÉDITES

SUR LA THÉORIE DE LA MUSIQUE

par d’ALEMBERT

1. Ces réflexions ont été lues à l’Académie des sciences en mai 1777. D’Alembert avait l’intention de les publier dans un supplément à ses Mélanges de littérature ; la mort l’en empêcha. Le manuscrit, qui présente de nombreuses corrections autographes, est conservé à la bibliothèque de l’Institut. Nous devons communication de cette pièce à M. Charles Henry, qui publiera prochainement deux volumes d’œuvres et de correspondance inédites de d’Alembert.

On peut considérer la musique, ou comme un art qui a pour objet un des principaux plaisirs des sens, où comme une science par laquelle cet art est réduit en principes.

Il en a été de la musique comme de tous les autres arts inventés par les hommes : le hasard a d’abord appris quelques faits ; bientôt l’observation et la réflexion en ont découvert d’autres, et de ces différents faits rapprochés et réunis, les philosophes n’ont pas tardé à former un corps de science, qui s’est accru par degrés.

Le plaisir que la musique fait à notre oreille et souvent à notre âme est un fait incontestable ; ce plaisir néanmoins n’affecte pas également tous les individus : sur cet objet comme sur d’autres beaucoup plus graves, il est, si l’on peut parler ainsi, des incrédules pour qui le plaisir de la musique n’est rien, et des hypocrites pour qui le plaisir n’est qu’un air de connaisseur ou d’amateur dont ils se parent, mais en aucun genre les exceptions ne font loi, et il demeure constant qu’en général, dans tous les lieux, dans tous les temps et presque à tous les âges, la plupart des hommes aiment à entendre chanter ou à chanter eux-mêmes.

Ce plaisir vient-il de la nature ou simplement de l’habitude ? Il paraît que la nature le suggère, en quelque manière le commande, car tous les peuples ont une musique ; il paraît aussi que l’habitude le fixe et le fortifie, puisque la musique d’un peuple n’est pas celle d’un autre et que les oreilles, une fois imbues et pénétrées pour ainsi dire d’un certain genre de musique, n’y renoncent guère pour une musique nouvelle. C’est ainsi que le besoin de parler est commun à tous les hommes et que la différence des organes produite par les climats produit elle-même la