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d’idéalisme sceptique de G. Ferrari. Ces métaphysiques ont fait leur temps ; le positivisme, avec ses formes variées, leur a succédé. Mais la direction du positivisme n’est pas une, il a trois courants principaux : le positivisme matérialiste, le métapositivisme, le positivisme critique. Les deux premières directions ne méritent pas véritablement le titre de Scientifiques, et, par suite, d’internationales. Le positivisme matérialiste se met en opposition avec la science, en admettant un lien absolu de causalité entre le cerveau et la pensée ; le métapositivisme en ramenant tout au phénomène et en prétendant que l’évolution phénoménique explique la nature intime et retrace le mécanisme absolu de l’être.

Seul, le positivisme-critique, qui admet : une connaissance relative et un inconnaissable absolu, qui rejette les métaphysiques spéciales, et non point l’objet de la métaphysique, peut être considéré comme la vraie philosophie internationale. Pour ma part, et je regrette infiniment de me trouver sur ce point en désaccord avec M. Siciliani, je n’ai jamais pu voir dans cet inconnaissable qu’une entité anti-philosophique. L’inconnaissable n’est pas autre chose, selon moi, que la limite imposée par notre organisation actuelle à notre science. Il n’est pas d’autre nature que le connu il n’est pas plus dans la science que les causes et les substances. J’ai à faire encore une réserve. Un des mérites, selon M. Siciliani, de la philosophie critique, c’est que, par le dogme de l’in-se, de l’inconnaissable, tout en ouvrant la porte à la liberté de conscience, chacun pouvant entendre le mystère à sa guise, elle légitime le sentiment religieux et lui donne une base scientifique. Qu’elle le légitime dans le passé, peut-être ; mais qu’elle le légitime pour le présent, c’est ce que je nie. Je n’ai jamais été dupe, pour ma part, du doux Jésus de M. Renan et du christianisme sentimental de nos illustres exégètes. Je professe là-dessus les idées de Proudhon et des philosophes français du xviiie siècle. Non seulement j’estime que les formes, quelles qu’elles soient, du mysticisme oriental, ne sont pas adéquates aux idées et aux exigences du monde moderne, mais je les trouve même, à ce point de vue, bien inférieures à l’idéal atteint par l’ensemble des idées morales de l’antiquité grecque et romaine.

Le positivisme critique, poursuit M. Siciliani, et c’est un des côtés excellents de sa thèse, n’enlève pas à la société humaine son caractère d’organisme naturel ; mais il le revêt d’un caractère conscient, lui indiquant ses fins à atteindre par elle même, au moyen de la lutte pacifique, de l’accord réciproque, du progrès parallèle dans unité et de la division du travail. Le positivisme critique donne donc leurs solides bases aux sciences qui, dans l’œuvre du progrès organisé, constituent les deux maîtres instruments de la civilisation, c’est-à-dire, l’économie politique et sociale et la pédagogie. Le positivisme critique a égard, dans les solutions des problèmes sociaux, aux besoins et aux tendances de tous les groupes humains, et il réclame pour tous, comme nécessaire à tous, le triomphe universel « du droit et de la justice ».


Bernard Perez.