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delbœuf. — origine de la vie et de la mort

ne pas finir, bien qu’ayant commencé, nous nous imaginons qu’il pourrait de même finir, bien que n’ayant pas commencé.

L’analogie est fausse, De ce qu’un état actuel commence et persiste pendant quelque temps, il est légitime d’en inférer qu’il peut durer encore ce même laps de temps ; plus l’expérience vérifie l’induction, plus celle-ci en est fortifiée. Ce qui a traversé six mille ans sans altération peut en traverser six mille autres, et ainsi la durée observée est le garant de la durée prévue.

Or ce raisonnement, valable par rapport à l’avenir, ne l’est plus du tout quand on l’applique au passé. C’est le contraire. De ce que l’on voit une existence cesser d’être, on doit logiquement conclure qu’il v avait en elle un germe de mort. Je veux bien admettre qu’elle date d’un an, de dix ans, de cent ans. Mon expérience prouve que l’on peut échapper pendant ce temps aux causes de destruction. Mais, à mesure que je recule son acte de naissance dans le passé, la chance qu’elle a eue me paraît de plus en plus inconcevable, et, si je le reporte à l’infini, cette chance apparaît comme une véritable impossibilité. C’est donc par un enchaînement logique parfaitement naturel que de la durée présente on infère une durée future ; c’est par un effort de plus en plus marqué que, après une destruction dont on est le témoin, on consent à admettre une existence régressive de plus en plus longue du système détruit.

En outre, l’existence de ce qui a un commencement est expérimentalement toujours limitée. Elle durera un an, dix ans, mille ans, un milliard d’années ; quelque grand que devienne cette durée, elle est partie d’un terme et aboutit à un autre terme qui sera dépassé, sans doute, mais qui n’en est pas moins un terme. Pour me servir d’une image familière, le bâton va s’allongeant, mais il a toujours deux bouts.

Il en est tout autrement de la conception d’un être sans commencement, mais ayant une fin. C’est celle d’un bâton à un bout. Elle est illusoire. L’illusion provient de ce que l’on applique à une reconstruction une manière de raisonner qui n’est admissible que pour la construction. Voici ce que l’on fait. On part d’une quantité finie, puis on suppose qu’elle grandisse sans cesse. On se dit qu’elle deviendra infinie. Soit ! On construit l’infini par créations successives et surajoutées. On se figure maintenant être en droit de faire la supposition inverse et d’attribuer à une série infinie de diminutions successives antérieures la grandeur limitée de la quantité que l’on considère ; on s’ingénie à la reconstruire, en remontant à ce que l’on convient d’appeler l’origine des temps, époque où elle a dû être infinie. Qui ne voit que de part et d’autre la pensée fait le même travail d’ajouter