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ANALYSES.krause. Vorlesungen über Æsthetik.

pour tout être raisonnable de réaliser le bien dans sa vie intérieure. « Le beau, comme le bien, est digne par lui-même, etc. N’est-il pas, comme le bien, une ressemblance avec Dieu ? On ne peut pas prétendre que l’art du beau épuise la destination de l’homme, car le bien est la première et la souveraine essence ; mais il s’ensuit que le bien lui-même est beau. Le bel art de la vie n’est qu’une partie de l’art de la vie, mais il en est une partie intégrante et nécessaire. »

La partie à la fois la plus étendue et la plus originale est celle qui s’intitule : L’art comme organisme des arts particuliers (Die Kunst als Organismus der besonderen Künste), On a vu ailleurs (août. sept, 1883 de cette Revue) la marche qu’a suivie le problème de la division des arts dans l’esthétique ancienne et moderne. On ne s’étonnera pas de l’importance qu’il prend dans l’esthétique de Krause. Aux yeux d’un philosophe dont la constante préoccupation est d’organiser, la division ou la classification des arts devient un vrai système des arts. Ceux-ci doivent former un tout organique, distincts, mais réunis par un lien Commun qui soit leur unité et maintienne cette unité.

Quel principe doit servir de base à cette division et présider à cet organisme ? Ce principe, selon Krause, doit être pris à l’intérieur, non à l’extérieur. Selon l’esprit et la méthode du système, il n’est autre que celui de l’organisation intérieure de l’idée même de la beauté. Or ici s’offrent deux domaines, le domaine du réel et celui de l’idéal. Le réel est la vie humaine où la beauté doit, comme on l’a vu, avant tout se réaliser. L’idéal, c’est le monde de l’imagination, celui des arts ou des beaux-arts proprement dits. 1o Il y aura donc d’abord l’art de la vie dans toutes ses branches, la vie individuelle, domestique, sociale, politique, religieuse, humanitaire. 2o Il y aura l’art du beau idéal, qui a pour domaine le monde de l’imagination (Phantasie Welt), les différents arts. Leur source est commune, mais ils affectent des formes différentes selon leur mode particulier de représentation. Tous ces arts ont leur principe commun dans l’art universel, qui les comprend tous, et cet art est la poésie, ce que Krause établit de la manière suivante :

Le monde poétique (Dichtkunst), qu’il distingue de la poésie proprement dite, avant de se réaliser ou de prendre une forme réelle dans les œuvres d’art, préexiste dans l’imagination du poète ou de l’artiste, ; tous les arts, en ce sens, sont confondus dans ce seul et unique monde poétique, d’où ils sortent pour se réaliser et se spécialiser en prenant des formes particulières (arts figuratifs, arts des sons inarticulés, art de la parole). Mais ces domaines particuliers sont contenus dans cette idée commune de l’art humain en général. L’homme, résumé de la création comme poète ou artiste, contient en lui toutes les formes et toutes les idées (Der Mensch als Geist und Gemuth aller Ideen machtig ist). Il est en cela une image de Dieu (Bild Gottes). Il porte le monde entier en lui-même et le reproduit (die Ganze Welt in sich tragt), et il le reproduit librement (frei gestaltend). Ainsi tous les arts particuliers se déduisent d’un seul art, la belle poésie intérieure qui se