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corporelle, dit Krause, c’est non seulement l’harmonie de l’organisme, mais surtout la prédominance de la partie spirituelle sur la partie animale, visible dans sa structure. La beauté du corps est comme l’expression de la beauté de l’esprit. Le corps humain reflète l’univers, il est panorganique et panharmonique  ; l’alliance de la beauté physique avec la beauté morale ou de l’esprit y est manifeste. C’est par là qu’il est le chef-d’œuvre de la création animée et comme une image, un reflet de la divinité, le temple de l’esprit.

Un point qui mérite en effet ici d’être signalé, parce qu’il a une capitale importance, c’est la manière dont Krause marque le rapport de l’esprit avec la nature. Par là déjà en effet se trouve à priori déterminé le vrai caractère de l’art lui-même dans la manière dont l’esprit se comporte vis-à-vis de la nature et garde ses prérogatives. L’esprit mis en face de la nature et de ses beautés ne se borne pas à les imiter, à les copier. Il reste lui-même et conserve en tout et toujours son indépendance et sa liberté. S’il la reproduit, s’il imite ses formes, il ne le fait ni mécaniquement ni servilement ; ce qu’il saisit et reproduit librement dans ces formes, c’est le côté significatif, vivant, animé, l’idée qui s’y révèle et s’y manifeste, non le côté formel, matériel, mort, vide et insignifiante, les détails que masquent et offusquent l’idée ; mais ceci nous conduit à la seconde partie, celle qui traite de l’art et des différents arts.

III. Nous nous y étendrons moins. Nous ne trouvons pas que Krause y fasse preuve d’une bien grande originalité.

L’art est l’effet d’une puissance causatrice et créatrice. L’homme seul est doué de cette puissance, ou activité créatrice (schäfende Thätigkeit). Son imagination lui donne ce pouvoir. L’homme crée ou façonne le beau à la fois comme esprit et comme corps. Si l’on se rappelle ce qui a été dit de la beauté elle-même comme unité organique et de ses éléments, l’art doit se définir « la réalisation de l’unité organique dans le temps ». Son objet est le beau vivant, le beau en tant qu’il existe dans le temps ; mais son principe est le beau éternel.

Orle beau, la beauté, comme œuvre d’art, doit se réaliser non seulement par l’art que crée l’imagination ; elle veut être d’abord réalisée dans la vie humaine, Il y a un bel art de la vie qui est et doit être le premier des arts, art sérieux, mais qui n’est pas moins l’expression ou la réalisation du beau par l’activité libre de l’homme. Ici, la morale et l’art se confondent. Les aspects seuls sont différents, maïs cet accord est nécessaire ; c’est une conséquence de la théorie métaphysique du beau. Le beau, on l’a vu, est une des essentialités primitives, comme le bien, comme le vrai, La vie humaine doit donc aussi se régler, S’ordonner, s’organiser d’après cette idée. Ce point caractéristique de la doctrine de Krause se retrouve chez d’autres esthéticiens (Schleiermacher, Herbart), mais il est essentiel à la philosophie de Krause ; il dérive de son principe. Aussi y insiste-il fortement. La vie et la beauté sont un tout organique ; elles renferment le bel art. De là l’obligation