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À l’idée du beau se rattache l’idée du sublime. Un assez long article lui est consacré et ne manque pas d’intérêt, surtout par ses détails ; mais nous ne voyons pas non plus que, pour le fond du sujet, rien d’original et de profond soit émis qui fasse beaucoup avancer la question telle que Kant l’avait traitée et résolue. Quant à la nature et aux formes du sublime, Krause ne s’écarte guère de son modèle. Il rétablit seulement, après la distinction, l’accord du sublime et du beau comme le commandait la logique de son système. Était-ce une raison de revenir à l’ancienne définition du sublime, comme étant le superlatif du beau ? Nous ne le croyons pas. Encore ici, la théorie nous semble superficielle.

Une partie plus originale et plus intéressante est celle des espèces où des formes diverses de la beauté. Nous retrouvons mieux marqués les caractères et l’esprit du système.

La beauté comme unité organique est partout la même, mais elle affecte des formes diverses et offre des degrés différents : 1o selon les êtres où elle apparaît et leurs propriétés diverses ; 2o selon les degrés de l’existence auxquels ces êtres appartiennent, leur mode de développement, la gradation des existences, De là deux principes de division ou deux manières de considérer la beauté, dans ses genres ou ses espèces.

1o Il y a d’abord différents genres de beauté selon les êtres, la beauté divine, infinie ou éternelle, la beauté finie, soit naturelle, soit spirituelle ou humaine. La première en réalité échappe à nos regards et ne se conçoit que par la pensée ; elle ne peut se représenter que par des images analogues, de semblèmes qui sont des ombres, umbrationes, selon le mot de l’Écriture ; les autres seules peuvent être saisies dans leurs essences et leurs propriétés ; sauf quelques vues particulières, nous ne trouvons encore dans cette division générale rien de bien nouveau à signaler et à caractériser.

2o Il en est autrement dans la manière dont l’auteur analyse et décrit les divers degrés ou les formes du beau qui s’offrent nous dans la nature et le monde réel, soit physique, soit moral. La beauté de la nature est le morceau principal sur lequel il convient de nous arrêter.

Le disciple indépendant de Schelling se révèle surtout dans sa conception de la nature en général, de la beauté et des degrés de la beauté qui répondent aux modes d’organisation des êtres particuliers et à l’ensemble harmonique de la création entière. Nous ayons à faire ressortir ici les mérites de l’esthéticien et le progrès qui s’est accompli dans la philosophie de l’art en général.

La nature, dit Krause, si l’on veut la saisir en elle-même et en comprendre la beauté, n’est pas selon l’opinion vulgaire, qui est aussi la conception matérialiste ou atomistique ; cet ensemble de formes vides et muettes, privées de sens et de vie. Ceci, c’est le cadavre de la nature, dont la vie est absente. Ainsi elle est conçue dans les systèmes anciens de Démocrite, d’Épicure ; ainsi l’a chantée Lucrèce.